Suivant le constat qu'il est préférable, en matière de contentieux électoral, de faire valoir l'irrégularité d'une élection devant le Conseil constitutionnel avant son déroulement et non après – afin de ne pas perturber le bon fonctionnement des pouvoirs publics – plusieurs requérants s'affèrent à tenter de la faire annuler à ce moment.
Le Conseil constitutionnel a été saisi en ce sens le 30 avril 2007, en vertu de l'article 59 de la Constitution, par M. Pascal Jan, en sa qualité d'électeur ayant intérêt à agir, d'une requête en contestation de constitutionnalité des élections législatives françaises de 2007 : en effet, le requérant demandait l'annulation du décret du 24 avril 2007 portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des députés à l'Assemblée Nationale qui n'avaient pas été préalablement corrigées, selon lui, des disparités démographiques affectant actuellement l'ensemble des circonscriptions législatives.
Ainsi, se basant sur la loi du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés, le requérant reproche aux auteurs du décret d'avoir méconnu le principe d'égalité devant le suffrage qui impose que l'Assemblée nationale soit élue sur des bases essentiellement démographiques.
Le débat n'est à l'évidence pas nouveau : dans ses observations formulées le 7 juillet 2005, le Conseil constitutionnel avait déjà relevé que le dernier découpage des circonscriptions législatives remontant à 1986 ne permettait plus de satisfaire à cette exigence constitutionnelle. Il a donc tout naturellement exhorté le législateur à corriger au plus tôt les disparités de représentation sur le territoire national, mais en vain.
L'inertie du législateur, soulevée par le requérant, pose par là une question simple et redoutable aux sages de la rue Montpensier : le juge de la régularité des élections législatives peut-il sanctionner la carence du législateur ? De façon insidieuse, le Conseil constitutionnel peut-il contrôler la conformité d'une loi à la Constitution alors qu'il statue en tant que juge électoral ?
Le Conseil répond par la négative en jugeant que la carence du législateur était sans incidence sur l'obligation faite au Gouvernement de convoquer les électeurs dans le respect des délais fixés par les dispositions du code électoral pour les élections législatives générales. Sans surprise, il rappelle également qu'il est incompétent pour connaître de la constitutionnalité des dispositions législatives lorsqu'il est saisi en dehors de l'article 61 de la Constitution.
La décision est éminemment remarquable par son antagonisme : si le Conseil constitutionnel est bien compétent pour statuer sur les requêtes dirigées contre ce type de décret tout en ne pouvant pas combiner les articles 59 et 61 de la Constitution pour le déclarer inconstitutionnel, et en cela la présente décision est juridiquement fondée et cohérente avec la jurisprudence antérieure (I), il est de même regrettable que les sages bafouent à ce point le principe d'égalité devant le suffrage par la conservation de la pratique juridique de la loi-écran, rendant également en cela la présente décision difficilement acceptable dans notre droit positif (II).
[...] C'est donc à bon droit qu'il se déclare compétent pour statuer sur une requête dirigée contre un décret de convocation aux élections législatives générales en se satisfaisant de la qualité d'électeur pour admettre la qualité pour agir de son auteur, raison pour laquelle M. Pascal Jan a pu, non pas en tant que professeur de droit reconnu mais bien en tant qu'électeur, saisir les sages sur cette question. Le Conseil incompétent pour apprécier la conformité de la loi de 1986 relative aux élections à la Constitution : un rappel En appelant au renouvellement de l'Assemblée nationale sans que la répartition des sièges de députés par départements n'ait été préalablement corrigée pour tenir compte de l'évolution de la démographie française, les auteurs du décret de convocation ont méconnu, selon M. [...]
[...] Jan en 2007 qu'il n'avait suivi M. Marini à l'époque, car ce que lui demandaient les requérants, pour voir annuler le décret attaqué, était ni plus ni moins que d'accueillir une exception d'inconstitutionnalité de la loi de 1986 régissant les tableaux électoraux et complétant les articles du Code électoral attaqués. Or, lorsqu'il statue comme juge électoral, et c'est en cette qualité qu'il est saisi ici par le biais de l'article 59 de la Constitution, le Conseil constitutionnel dispose des pouvoirs d'un juge ordinaire ; pas plus que pour lui donc, le Conseil ne peut déclarer dans ce cas une loi inconstitutionnelle lorsqu'il se prononce comme juge de l'élection. [...]
[...] La pratique de la loi-écran permettant de justifier juridiquement ce choix contestable On ne peut mieux reconnaître que les élections législatives prochaines méconnaîtront le principe d'égalité devant le suffrage, mais le Conseil Constitutionnel, dans son rôle de juge de la régularité de l'élection, ne pouvait censurer la carence du législateur, et pour cause : les dispositions législatives existantes font écran avec le décret pris pour leur application. Pratique juridique qui se perpétue sur la base d'une certaine conception de la séparation des pouvoirs, jugée complètement arbitraire par certains, la théorie de la loi-écran ou théorie de l'écran législatif résulte selon Michel de Villiers d'« une jurisprudence selon laquelle le juge ordinaire ne peut refuser l'application d'une loi au motif de son inconstitutionnalité : la loi "fait écran" entre la Constitution et les actes administratifs. [...]
[...] En l'espèce, le Conseil l'énonce clairement dans le troisième considérant en rappelant qu' il n'appartient pas au Conseil constitutionnel prononçant, en application de l'article 59 et non de l'article 61 de la Constitution, d'apprécier la constitutionnalité du tableau susmentionné Le Conseil ne peut alors sanctionner la carence du législateur en matière de découpage électoral que s'il est saisi d'une loi en vertu de l'article 61. Dès lors, le décret qui fixe les dates des élections législatives n'est pas entaché par l'inconstitutionnalité de la loi délimitant les circonscriptions législatives. Si la position du Conseil est cohérente, elle entraîne des conséquences non négligeables. En validant le décret du 24 avril 2007, le Conseil reconnaît que les prochaines élections législatives méconnaîtront en toute impunité le principe d'égalité devant le suffrage, un principe constitutionnel fondamental dans une démocratie. [...]
[...] II/ Une décision difficilement acceptable dans notre droit positif A ce stade du développement des libertés fondamentales et de l'action salvatrice dans ce domaine du Conseil constitutionnel depuis 1971, il est regrettable de constater que celui-ci bafoue ainsi dans sa décision le principe d'égalité devant le suffrage, lui privilégiant une solution inverse lourde de conséquences et déstabilisatrice pour la continuité des institutions ; ce constat amer nous incite à nous poser la question de la nécessité de conservation de la pratique juridique de la loi-écran qui bloque ici tout contrôle de la loi et permet au Conseil de justifier en droit sa position Un principe d'égalité devant le suffrage bafoué au nom du principe de continuité et de stabilité des institutions Le recours a donc été au motif que la carence du législateur dénoncée par le requérant était sans incidence sur l'obligation faite au Gouvernement de convoquer les électeurs dans le seul respect des délais fixés par les dispositions du code électoral pour les élections législatives générales. Une telle réponse faite au requérant M. Jan, comme à M. Marini en 2001, revient à dire que le découpage actuel des circonscriptions législatives est porteur de disparités démographiques constitutives d'une rupture d'égalité devant le suffrage, telle était du moins la base de la requête de M. [...]
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