La notion de service public n'étant pas une notion homogène, le critère du service public n'est pas suffisamment pertinent pour déterminer efficacement l'ordre juridictionnel compétent. Le contentieux des services publics est donc emprunt à une dualité certaine. L'arrêt Matisse rendu le 22 novembre 1993 par le tribunal des conflits tend à clarifier cette compétence.
En l'espèce, la Poste, établissement public industriel et commercial, a reproduit sur des timbres-poste un portrait d'Aragon, réalisé par le peintre Henri Matisse, sans l'autorisation des héritiers de ce dernier et malgré leur refus.
Les ayants droit du peintre ont assigné l'établissement public devant le tribunal de grande instance, juridiction judiciaire, en vue d'obtenir une condamnation au paiement de dommages-intérêts pour réparer le préjudice des héritiers : l'atteinte aux droits d'auteur. Ils se sont heurtés à une déclaration d'incompétence par une ordonnance du président du TGI. Les héritiers ont par la suite saisi le tribunal administratif de Paris, qui a renvoyé l'affaire devant le tribunal des conflits afin qu'il décide de la compétence.
Quelle est la juridiction compétente pour connaître d'un litige entre un établissement public industriel et commercial et les tiers, réclamant la réparation d'un préjudice causé par une atteinte à leurs droits d'auteur ?
Le tribunal des conflits, dans son arrêt du 22 novembre 1993, déclare que puisque c'est sur le fondement d'une faute que la responsabilité de la Poste est recherchée, sans que des prérogatives de puissance publique ne soient mises en cause, la juridiction judiciaire est compétente pour connaître de ce litige et lui appliquer des dispositions de droit privé.
Le contentieux opposant les tiers à un établissement public industriel et commercial est caractérisé par une absence manifeste d'unicité. L'arrêt du tribunal des conflits Dame Mélinette de 1933 consacre le principe d'une compétence judiciaire, et l'arrêt Compagnie La Lutèce de 1987 énonce une compétence administrative en cas de dommages causés par des ouvrages ou travaux publics. Dès lors, alors que la Poste jouit d'un monopole pour l'émission de timbres-poste, ce qui constitue une prérogative de puissance publique, quelle est la démarche suivie par le tribunal des conflits pour conclure à la compétence des juridictions judiciaires, compte tenu de la dualité caractéristique du contentieux des services publics ?
La solution adoptée par le tribunal des conflits peut être envisagée comme l'affirmation d'une compétence judiciaire de principe (I) qui appelle nécessairement la reconnaissance d'une compétence administrative dérogatoire (II).
[...] La solution adoptée par le tribunal des conflits établit a contrario que la compétence judiciaire se retire au profit de la compétence administrative si est en cause l'exercice de prérogatives de puissance publique. En effet, selon la conception française de la séparation des pouvoirs, la contestation visant l'annulation ou la réformation des décisions prises dans l'exercice des prérogatives de puissance publiques relève de la compétence des juridictions administratives. Cette compétence ne peut de lege lata être remise en question, et ce puisque il s'agit d'une compétence administrative constitutionnellement garantie, suite à la décision 86-224 DC, rendu par le Conseil constitutionnel le 23 janvier 1987. [...]
[...] Dès lors, alors que la Poste jouit d'un monopole pour l'émission de timbre-poste, ce qui constitue une prérogative de puissance publique, quelle est la démarche suivie par le tribunal des conflits pour conclure à la compétence des juridictions judiciaires, compte tenu de la dualité caractéristique du contentieux des services publics ? La solution adoptée par le tribunal des conflits peut être envisagée comme l'affirmation d'une compétence judiciaire de principe qui appelle nécessairement la reconnaissance d'une compétence administrative dérogatoire (II). I. [...]
[...] En outre, le tribunal des conflits dans un arrêt du 11 juillet 1933, Dame Mélinette, avait déjà posé la compétence judiciaire du contentieux des relations d'un tel service avec les tiers. L'arrêt Matisse peut également être rapproché de la jurisprudence Bac d'Eloca de 1901, qui établissait la compétence des juridictions judiciaires pour les litiges ressortant des rapports entre un SPIC et ses usagers. B. Une gestion fautive du service public industriel et commercial Les héritiers du peintre n'ont mis en cause ni la décision d'émettre un timbre, ni celle de faire figurer sur ce timbre l'effigie d'Aragon. [...]
[...] Cependant le préjudice subi par les ayants droit de l'artiste ne trouve pas son fondement dans l'émission du timbre-poste, mais uniquement dans la méconnaissance de leurs droits extrapatrimoniaux en ce que la Poste a reproduit une œuvre de l'artiste sans tenir compte des protestations des héritiers du peintre. Tel qu'il a précédemment été dit, c'est une responsabilité pour faute qui fut recherchée, sans que cela ne concerne un quelconque acte administratif pris pour l'organisation d'un service public. Cette solution permet au tribunal des conflits de poser a contrario une nouvelle fois une compétence administrative lorsqu'un acte administratif pris par le service public est contesté. [...]
[...] L'arrêt Matisse rendu le 22 novembre 1993 par le tribunal des conflits tend à clarifier cette compétence. En l'espèce, la Poste, établissement public industriel et commercial, a reproduit sur des timbres-poste un portrait d'Aragon, réalisé par le peintre Henri Matisse, sans l'autorisation des héritiers de ce dernier et malgré leur refus. Les ayants droit du peintre ont assigné l'établissement public devant le tribunal de grande instance, juridiction judiciaire, en vue d'obtenir une condamnation au paiement de dommages-intérêts pour réparer le préjudice des héritiers : l'atteinte aux droits d'auteur. [...]
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