Commentaire d'arrêt, Tribunal des conflits, 17 juin 2013, voie de fait, gardienne des libertés fondamentales
René Chapus disait d'elle qu'il "fallait domestiquer cette folle du logis voire à terme l'admettre à la retraite". C'est en ses termes humoristiques que Chapus qualifie le procédé exceptionnel de protection des libertés que constitue la voie de fait. Création jurisprudentielle du 19ème siècle au succès fulgurant qui permettait de sanctionner les dérives d'un pouvoir potentiellement arbitraire avec un potentiel liberticide conséquent, la voie de fait semble désormais tombé en disgrâce au sein des juridictions. Comme le rappelle à juste titre le professeur Moreau, "l'histoire de la voie de fait est donc sinusoïdale entre-coupé de vogues et de longs sommeils" (Voie de fait, Répertoire du contentieux administratif,). Nombreux sont déjà les auteurs a annoncé l'éloge funèbre de la voie de fait, concept antique remplacé par le législateur à travers le référé-liberté. Pourtant les adeptes de la voie de fait peuvent se rassurer, celle-ci n'est pas encore tombé dans les oubliettes du droit administratif en dépit du coup de grâce que semble lui asséner le tribunal des conflits en restreignant son champ d'application. C'est ce que nous verrons donc dans notre arrêt.
Il s'agit d'un arrêt du tribunal des conflits du 17 juin 2013. Monsieur B devient propriétaire d'un terrain en 1990. Terrain sur lequel la société ERDF Annecy Léman avait implanté en 1983 un poteau électrique sans suivre la procédure prévue par le décret du 11 juin 1970 pris pour l'application de l'article 35 modifié de la loi du 8 avril 1946. De plus la société ERDF n'avait pas non plus conclu de contrat avec le propriétaire du terrain.
[...] Force est donc de constater que le succès flagrant du référé liberté semble peser sur l'anéantissement progressif su domaine normalement réservée à la voie de fait. CONCLUSION La théorie de la voie de fait a donc perdu de sa splendeur à travers le rétrécissement de son champ d'application et la perte de son juge naturel, le juge judiciaire. Toutefois, pour rassurer les grands adeptes de la voie de fait, il faut noter que la commissaire du gouvernement en charge de l'affaire ne semblait pas prête à "assassiner" la voie de fait. [...]
[...] Il est toutefois nécessaire de constater que le Tribunal des conflits applique ici une vision restrictive de la définition originelle de la voie de fait à travers l'interprétation d'éléments de faits. La cour de Cassation avait déjà en 2012 admis dans plusieurs jurisprudences que les propriétaires de terrain sur lesquels avaient été implanté un ouvrage public avait tacitement admis celui-ci par le temps écoulé entre la connaissance de l'ouvrage litigieux et les poursuites contre la société ERDF mais également la visibilité de celui-ci. [...]
[...] Si il est favorable de voir que le Tribunal des Conflits a mieux délimiter les contours de la voie de fait, il demeure dommageable de remarquer que la nouvelle définition stricto-sensu adopté par le Tribunal des Conflits semble totalement vider de sa substance l'intérêt même de la voie de fait. C'est ce que nous rappelle Xavier Domino et Aurelie Bretonneau dans leur ouvrage "la voie de fait mise au régime sec" en estimant que le champ de la liberté individuelle est bien entendu plus restreint que celui des libertés fondamentales. En effet le Tribunal des Conflits n'élimine absolument pas le voie de fait de l'ordonnancement juridique, mais son application demeura désormais très limitée. [...]
[...] L'ordonnance de Chirongui confirmé par notre arrêt semble asséner le glas final à la théorie de la voie de fait qui a pourtant été un protecteur exceptionnel des libertés fondamentales face au caractère liberticide de certains actes administratifs. Tout d'abord il est important de noter que pour la première fois le Tribunal des Conflits cite expressément les pouvoirs du juge judiciaire. Il était habituellement reconnu compétent pour faire cesser, empêtrer des injonctions et réparer la voie de fait. Désormais, le Tribunal des conflits limite ses prérogatives à la seule constatation et réparation ce qui a pour conséquence de restreindre la pleine juridiction originellement accordé au juge judiciaire. [...]
[...] En outre, le poteau électrique étant directement rattaché au service public de distribution d'électricité, il a le caractère d'un ouvrage public et son déplacement ou sa suppression revient donc par nature au juge administratif. Pour finir le Tribunal des Conflits rappelle que l'implantation du poteau électrique litigieux sur une propriété privée sans titre n'éteint pas le droit de propriété de Monsieur B. Par voie de conséquence, contrairement à ce que soutient le demandeur, le Tribunal des Conflits estime qu'aucune voie de fait n'est caractérisée. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture