Commentaire d'arrêt, Tribunal des conflits, 17 juin 2013, théorie de la voie de fait, répartition des compétences, juridiction administrative, juridiction judiciaire
Le 17 juin 2013, le Tribunal des conflits a rendu une décision marquante traitant de la théorie de la voie de fait et plus particulièrement de la répartition des compétences entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire.
En 1983, une entreprise publique a installé un poteau électrique sans ''conclure de convention avec le propriétaire du terrain''. En 1990, un nouveau particulier devient propriétaire dudit terrain et souhaite le retrait du poteau de son terrain. Face au refus de l'entreprise, le propriétaire l'assigne en justice devant une juridiction judiciaire.
[...] Cependant, l'arrêt Bergoend est particulièrement marquant autant pour ses conséquences conceptuelles et pratiques, que pour les réactions qu'il a déclenchées. En effet, les analyses faites de l'arrêt sont aussi nombreuses qu'elles sont variées. D'un côté, on annonce la mort pure et simple de la voie de fait à cause de cet arrêt. D'un autre, on estime qu'elle est encore loin d'avoir dit son dernier mot. Tandis que certains se demandent si sa disparition n'est pas un mal pour bien. Cependant, il convient de s'interroger sur l'intérêt d'une telle décision. [...]
[...] Ainsi, elle apparaît comme une banale mesure prise par l'administration et non plus comme une atteinte d'une grande gravité, ce qui est tout de même le comble pour une théorie dont le but initial était de protéger les administrés d'actes de l'administration abusant de son autorité pour bafouer les libertés fondamentales. Depuis sa consécration en 1935 par le Tribunal des conflits, la théorie de la voie de fait a été débattue, définie, redéfinie et remise en question par la jurisprudence administrative. [...]
[...] Le juge du Tribunal des conflits a dû répondre à deux questions donnant à cet arrêt une grande importance, car il bouleverse la théorie de la voie de fait : 1. L'installation de biens publics sur un terrain privé sans l'autorisation de son propriétaire constitue-t-elle une voie de fait ? 2. Lorsque la présence d'une voie de fait est mise en doute, une juridiction judiciaire est-elle compétente pour juger l'affaire ? Le tribunal des conflits va répondre à ces questions en s'inscrivant dans la continuité de précédents arrêts administratifs traitant de la voie de fait, mais en franchissant un pas de plus vers l'affaiblissement d'une voie de fait déjà bien amenuisé par la jurisprudence administrative précédente. [...]
[...] Une redéfinition de la voie de fait et une restriction encore plus stricte de son champ d'application En diminuant sa portée, la ''folle du logis" (René Chapus) se voit vider de sa caractéristique la plus importante, celle de sa gravité Une caractéristique remettant en cause l'intérêt de la procédure pour voie de fait Une décision dénaturant la théorie de la voie de fait La voie de fait est, comme l'a rappelé le Tribunal des conflits dans un arrêt du 23 octobre 2000, une situation dans laquelle l'administration a porté une "atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale" et qui est "manifestement insusceptible d'être rattachée à un pouvoir appartenant à l'autorité administrative". Ces deux conditions sont cumulables pour qu'il y ait voie de fait. Or, dans la décision de 2013, le Tribunal a décidé d'effectuer un changement au niveau des termes employés pour définir les conditions requises pour caractériser une voie de fait. Ainsi, l'atteinte grave au droit de propriété n'existe plus : "aboutissant à l'extinction d'un droit de propriété" tandis que la notion de liberté change. On passe de la "liberté fondamentale" à une "atteinte à la liberté individuelle''. [...]
[...] Ainsi, l'arrêt affaiblit considérablement sa portée, minimisant les actes ou mesures prises par l'administration portant atteinte aux droits et libertés constitutionnelles. Par conséquent, le choix de changer la notion de liberté peut paraître anecdotique, mais le terme de "fondamentale" permettait d'élargir le champ d'action de la voie de fait puisque les libertés individuelles incluent seulement la notion de sûreté, celle d'aller et venir et celle du respect de la vie privée. Le seul aspect qui demeure inchangé est les hypothèses dans lesquelles la voie de fait peut s'appliquer et qui avaient été consacrées dans un arrêt du 8 avril 1935 par le tribunal des conflits. [...]
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