L'Administration trouve la légitimité de son action dans la promotion de l'intérêt général. Cependant ce fondement souffre de certaines limites : par exemple, l'intérêt général ne doit pas nuire aux libertés publiques des individus sous peine que l'action administrative soit qualifiée de voie de fait.
L'arrêt rendu par le Tribunal des Conflits le 16 janvier 1995 « Préfet de la Gironde c/ Diaz-Canete » porte sur l'amalgame entre une exécution forcée d'un arrêté de reconduite à la frontière et une voie de fait.
En l'espèce, M. José Luis Diaz-Canete, de nationalité chilienne, fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière par le préfet de la Gironde le 14 décembre 1994. Cette mesure lui est notifiée le jour-même à 14h30. Le lendemain à 21h29, l'intéressé rejette cette décision du préfet et forme un recours en annulation de l'acte administratif devant le tribunal administratif (TA). Cependant, le Chilien est tout de même embarqué d'office dans un avion à destination de Santiago-du-Chili le jour suivant, sans que le président du tribunal administratif n'ait statué sur sa demande. Alors le tribunal de grande instance (TGI) de Bordeaux est saisi par M. Diaz-Canete d'une assignation tendant à vouloir constater l'existence d'une voie de fait et ordonner la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour sur le territoire français.
Le préfet de la Gironde conteste la compétence de la juridiction judiciaire pour statuer sur l'exécution forcée d'un arrêté de reconduite à la frontière et adresse un déclinatoire de compétence au TGI de Bordeaux le 14 janvier 1994. Pourtant, le président du TGI de Bordeaux, dans une ordonnance de référé du 9 février 1994 persiste dans l'affirmation de sa compétence et rejette le déclinatoire de compétence ; en même temps qu'il statue au fond sur l'existence d'une voie de fait. Le préfet, estimant qu'il est opportun d'élever le conflit devant le Tribunal des Conflits (TC), adopte alors un arrêté de conflit qui parvient le 16 mars 1994 au TGI de Bordeaux, soit 14 jours après la réception de l'ordonnance de référé par la préfecture.
Le TC va se pencher sur le respect de la procédure de conflit mais son problème principal va être d'examiner s'il y a ou non voie de fait afin de déterminer quel ordre de juridiction est compétent. Ainsi dans quelles mesures une voie de fait peut-elle être constatée et quels vont être les répercutions de ce constat sur la répartition de compétence entre les deux ordres de juridiction ?
[...] Alors cela porte à croire que l'irrégularité constitutive de voie de fait porte dans la mesure même de l'exécution forcée. De plus, cette exécution d'office de l'arrêté de reconduite à la frontière, en ce qu'elle constitue une embarcation de force dans un avion à destination de son pays d'origine, prive M. Diaz- Canete d'une liberté fondamentale reconnue par la Constitution française : celle d'aller et venir, d'autant plus que les droits à la défense de l'intéressé sont violés. Par conséquent, les deux caractères de la voie de fait sont réunis dans l'affaire Diaz-Canete et laissent présumer de son existence. [...]
[...] Pourtant, un alibi d'ordre légal peut venir déqualifier une telle action. La loi, un alibi à une apparente voie de fait Mais une exécution forcée peut parfois être légitime. Il existe différentes hypothèses dans lesquelles l'exécution forcée est permise notamment lorsqu'un texte législatif la prévoit expressément. En l'espèce l'ordonnance du 2 novembre 1945 autorise l'exécution forcée de reconduite à la frontière en ce qui concerne les irrégularités d'entrée et de séjour des étrangers sur le sol français. Alors la loi légitime la voie de fait pré- illustrée et va même jusqu'à la lui retirer cette qualification. [...]
[...] Diaz- Canete a formé un recours en annulation de l'arrêté de reconduite à la frontière plus de 24 heures après sa notification et qu'il a été embarqué d'office dans l'avion à destination de Santiago du Chili sans que le juge n'ait statué. Même si l'intéressé a saisi le TA en contestation de l'acte et qu'il n'y a eu aucune décision de jugement, l'exécution de l'arrêté de reconduite à la frontière est valable car le Chilien n'a pas respecté le délai de saisine du TA. Ainsi l'action de M. Diaz-Canete est irrecevable devant le TA qui après expiration du délai de 24 heures est devenu incompétent. [...]
[...] Il en est ainsi de l'exécution d'un arrêté de reconduite à la frontière qui peut donc être exécuté d'office par l'administration dès lors que le recours en annulation dont il a fait l'objet devant le président du TA n'a pas été formé dans le délai de 24 heures à compter de sa notification. Il s'ensuit que ne saurait constituer une voie de fait l'exécution d'un arrêté pris dans ces conditions. Ainsi l'arrêté de conflit a été pris à bon escient car le juge judiciaire n'a pas compétence en l'absence de voie de fait : la procédure engagée par M. [...]
[...] Ainsi le TGI de Bordeaux s'est estimé compétent d'office pour connaître du litige au titre de l'existence de la voie de fait. Mais en l'espèce la théorie de l'existence d'une voie de fait est démontée par le TC : le TGI de Bordeaux a négligé de se référer à l'ordonnance du 2 novembre 1945 qui autorise l'exécution forcée d'un arrêté de reconduite à la frontière dans certains cas. Alors l'absence de voie de fait entraîne l'incompétence totale du juge judiciaire. [...]
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