Conseil d'Etat, 17 février 1950, Commentaire d'arrêt, Dame Lamotte, recours pour excès de pouvoir, principe général du droit
Par un arrêt en date du 17 février 1950, Dame Lamotte, le Conseil d'État a eu l'occasion de consacrer un nouveau principe général du droit selon lequel toute décision administrative peut faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
Selon la classification la plus traditionnelle, les recours contentieux se répartissent en quatre catégories : pleine juridiction, annulation, interprétation et appréciation de légalité, répression. Mais le contentieux le plus original est le recours pour excès de pouvoir. Il s'agit d'un procès fait à un acte, moyen le plus énergique et le plus démocratique de défense des administrés contre l'arbitraire et l'illégalité et qui occupe le rôle central de cet arrêt.
En l'espèce, la loi du 17 août 1940 avait donné aux préfets le pouvoir de concéder à des tiers les exploitations abandonnées ou incultes depuis plus de deux ans pour une mise en culture immédiate. C'est en application de cette loi qu'à deux reprises, les terres de la dame Lamotte avaient fait l'objet d'un arrêté préfectoral de concession par le Préfet de l'Ain. Le Conseil d'État avait annulé à chaque fois ces décisions à la demande de la dame Lamotte. Mais une loi du 23 mai 1943, dont le but était de contourner la résistance des juges à l'application de la loi de 1940, avait prévu que l'octroi de la concession ne pouvait faire l'objet d'aucun recours administratif ou judiciaire. Ainsi, le Préfet de l'Ain a pris un nouvel arrêté le 10 août 1944 concédant les terres de Mme Lamotte, qui le contesta une fois de plus. Le 4 octobre 1946, le Conseil de Préfecture Interdépartemental de Lyon prit un arrêté qui annula l'arrêté du Préfet, donnant raison à Mme Lamotte. Le Ministre de l'agriculture forma donc un pourvoi en cassation dans le but d'annuler l'arrêté du Conseil de Préfecture qui allait manifestement à l'encontre de la loi de 1943 qui interdisait le recours administratif dans le cadre de ces concessions.
[...] Une semblable approche a trouvé un écho dans la jurisprudence administrative qui se réfère désormais au droit constitutionnellement garanti à toute personne à un recours effectif devant une juridiction Il est nécessaire de préciser également que dans un arrêt du 7 février 1947, D'Aillières, le Conseil d'État a considéré comme étant un principe général du droit la possibilité d'intenter un recours en cassation contre un jugement. Il ressort de cet arrêt que toute décision juridictionnelle peut être contestée par voie de recours en cassation. Mais cette jurisprudence avait déjà fait l'objet d'une application dans un arrêt du 8 juillet 1904, Botta dans lequel le Conseil d'État a affirmé ses pouvoirs comme juge de cassation des arrêts de la Cour des comptes. [...]
[...] Enfin, l'existence d'un pourvoi en cassation en matière administrative constitue pour le Conseil Constitutionnel une garantie fondamentale des justiciables dont en vertu de l'article 34 de la Constitution, il appartient seulement à la loi de fixer les règles. [...]
[...] L'excès de pouvoir suppose que l'auteur de l'acte n'a pas respecté la règle de droit, il y a non conformité au droit dans son ensemble. Ce recours constitue la sanction du principe de légalité, principe fondamental du droit administratif français. Il permet aux administrés de saisir le juge administratif en vue d'obtenir l'annulation de tout acte administratif unilatéral entaché d'illégalité. Ce dernier peut donc mettre à un acte administratif en prononçant son annulation, à la seule condition que cet acte soit illégal. La jurisprudence Dame Lamotte a été confirmée plusieurs fois depuis afin de contrôler les éventuels excès du pouvoir règlementaire. [...]
[...] En effet, en application de cette jurisprudence qui a été confirmée à plusieurs reprises, le pouvoir réglementaire ne peut jamais interdire le recours pour excès de pouvoir contre les décisions qu'il prend. Certes en principe le législateur pourrait interdire le recours pour excès de pouvoir contre certaines décisions, mais dans le contexte normatif actuel, une telle disposition se heurterait sans doute aux stipulations du droit international relatives aux droits des individus à exercer un recours effectif contre les décisions administratives. [...]
[...] La loi du 23 mai 1943 interdisait le recours administratif ou judiciaire. Or le Conseil d'État a considéré que ce texte ne pouvait avoir pour effet d'exclure le recours pour excès de pouvoir, destiné à assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité Cette jurisprudence qui fait de ce recours un instrument général du contrôle de la légalité a été depuis lors de nombreuses fois confirmée. La jurisprudence Dame Lamotte se révèle ainsi être une sauvegarde du contrôle de la légalité contre la tentation que pourrait avoir le gouvernement de limiter ce contrôle grâce à son pouvoir réglementaire élargi Un nouveau principe limitant les excès du pouvoir règlementaire : Les principes généraux du droit (notion utilisée explicitement par le juge administratif pour la première fois à l'occasion de l'arrêt Aramu du 26 octobre 1945) sont considérés comme des éléments certains de la légalité puisqu'ils ont force obligatoires pour l'administration. [...]
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