La procédure juridictionnelle administrative est traditionnellement construite sur des spécificités qui lui sont propres. Le commissaire du gouvernement, ancré dans la pratique et rarement remis en cause, en est l'exemple le plus vivant. Le Conseil d'Etat à récemment été soumis à un débat juridique le concernant dans le présent arrêt du 29 Juillet 1998.
En l'espèce, Laure Esclatine défère devant le Conseil d'Etat, par la voie du recours en révision, deux décisions du Conseil d'Etat rendues le 15 avril 1996, concernant l'annulation et le rejet de l'annulation de décisions rendues par des juridictions administratives antérieures.
Au regard de l'article 75 de l'ordonnance du 31 Juillet 1945, le recours en révision peut être fondé sur trois cas précis : « si la décision contradictoire du Conseil d ‘Etat a été rendue sur pièces fausses, si la partie a été condamnée faute de représenter une pièce décisive qui était retenue par son adversaire, ou si la décision est intervenue sans qu'ait été observées les dispositions des art. 35, 36, 38, 39, 66 (§1), 67 et 68 de la présente ordonnance ».
La requérante, afin de fonder son recours en révision, invoque dans son premier moyen la non présentation de pièces au conseil d'Etat, pièces qui n'auraient pas été restituées à la suite de l'instance d'appel. Le Conseil d'Etat considère de manière qu'il n'est pas prouvé que les pièces en question aient été retenues par l'adversaire, et considère donc que la requérante n'est pas fondée à demander un recours en révision sur ce moyen.
Si le premier moyen de la requérante ne peut être accueilli, le second moyen sur lequel se fonde Mme Esclatine pose un problème apte à susciter un débat juridique de taille : est invoquée la non communication des conclusions du commissaire du gouvernement préalablement à l'audience et l'impossibilité d'y répondre, violant de ce fait du principe du contradictoire et du procès équitable énoncé par l'article 6§1 de la Convention Européenne. Il est donc légitime de se demander si l'institution séculaire du commissaire du gouvernement, spécifique à la procédure juridictionnelle administrative Française est compatible avec les exigences croissantes en matière de procès équitable.
Il s'agit donc pour le Conseil d'Etat de statuer afin de vérifier si l'action du commissaire du gouvernement, notamment à travers ses conclusions, ne méconnaît pas les principes garantissant un procès équitable au justiciable (I) et de justifier sa légitimité et son intervention aux yeux de ces mêmes principes (II).
[...] Ceci constituerait une violation de l'article 67 de l'ordonnance du 31 Juillet 1945, fondant de ce fait son recours en révision. Le commissaire du gouvernement est présent lors des séances d'instruction et après le rapport, les avocats des parties présentent leurs observation orales ; les conclusions sont données dans chaque affaire par l'un des maîtres des requêtes, commissaire du gouvernement (Art 67). Il est nécessaire de constater que l'article 67 de l'ordonnance du 31 Juillet 1945 dont Mme Esclatine invoque le viol ne présente en aucun cas l'obligation pour le commissaire du gouvernement de communiquer ses conclusions aux parties, préalablement à l'audience. [...]
[...] Cette indépendance est renforcée du fait que le commissaire du gouvernement, malgré le nom qui lui est attribué, ne représente pas l'administration, et est encore moins une partie au litige. Il est indépendant dans la mesure ou aucune autorité ne peut le contraindre dans la rédaction de ses conclusions, qui ne sont l'expression que de son jugement personnel. Un acteur impartial Le second caractère du commissaire considéré par le Conseil d'Etat est le nécessaire devoir d'impartialité. Cela signifie qu'il doit y avoir une totale absence de parti pris, de préjugé, de préférence, d'idée préconçue, exigence consubstantielle à la fonction juridictionnelle dont le propre est de départager des adversaires en toute justice et équité (G.Cornu, Vocabulaire Juridique, 7ème ed. [...]
[...] La Cour Européenne formule donc des exigences dans le domaine du bon déroulement du procès, et du respect du principe du contradictoire. La réponse du Conseil d'Etat, ou l'exclusion du commissaire du gouvernement du champ d'application du contradictoire Le Conseil d'Etat insiste clairement sur ce point qui est fondamental, puisqu'il définit précisément et de façon non équivoque les caractères de l'intervention du commissaire du gouvernement dans la procédure juridictionnelle : le commissaire du gouvernement ne peut être soumis au principe du contradictoire. [...]
[...] Le Conseil d'Etat avait déjà rendu un arrêt Gervaise du 10 Juillet 1957, et dans lequel il définissait déjà les principaux contours de la fonction de commissaire du gouvernement. Il définissait donc le commissaire comme devant formuler ses conclusions en toute indépendance et impartialité. Le Conseil d'Etat ne fait donc, dans cet arrêt du 29 Juillet 1998, que confirmer une jurisprudence qu'il avait déjà rendue en la matière, témoignant son désir de faire perdurer l'institution du commissaire du gouvernement tout en la définissant plus précisément. [...]
[...] La Cour Européenne rejette toutefois la participation du commissaire du gouvernement au délibéré, car il n'est pas établi qu'il ne puisse pas exercer une influence de nature à favoriser ou non l'une des parties. C'est la raison pour laquelle, un décret du 1er Août 2006 bannit l'intervention du commissaire du gouvernement du délibéré devant les tribunaux et cours administratives d'appel. Cependant devant le conseil d'Etat, sauf demande contraire d'une des parties, le commissaire du gouvernement assiste au délibéré, mais n'y prend pas part Le Conseil d'Etat continue son chemin sur la voie de la résistance en matière de protection de l'institution du commissaire du gouvernement et de ses caractères. [...]
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