Le régime de responsabilité du fait des lois a connu une importante évolution depuis la Troisième République. A cette époque, le principe était l'irresponsabilité de l'Etat législateur si celui -ci n'avait rien prévu en ce qui concernait les dommages pouvant découler d'une loi. Le commissaire du gouvernement Laferrière affirmait ainsi que « la loi est un acte de souveraineté et le principe de la souveraineté est de s'appliquer à tous sans qu'on puisse réclamer d'elle aucune compensation ». Mais, petit à petit, la loi s'affirme également comme outil d'arbitrage entre des intérêts privés divergents, notamment en matière économique.
Ainsi, le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'assemblée du 14 janvier 1938, SA des produits La Fleurette, va accepter d'engager la responsabilité sans faute de l'Etat pour réparer le préjudice subi par la société requérante du fait d'une loi. Néanmoins, même si le Conseil d'Etat consacre là un principe novateur, la responsabilité du fait des lois ne sera que très peu utilisée, car son engagement est soumis à des conditions très strictes, notamment un critère tiré de l'absence de volonté expresse du législateur, que le Conseil d'Etat va interpréter, par la suite, comme ne donnant pas droit à indemnisation.
Dans l'arrêt commenté, le problème provient d'un décret du 16 avril 1999 pris par le Premier Ministre dans l'exercice de son pouvoir de police spéciale des installations classées, qu'il détient en vertu d'une loi du 19 juillet 1976. Ce décret a ordonné « la suppression des silos de stockage de céréales exploités à Soissons par la coopérative agricole du soissonnais », en raison des dangers que cela représentait pour l'environnement. Ainsi, la coopérative agricole Ax'ion, « venant aux droits » de la coopérative précédente, a intenté une action en responsabilité contre l'Etat en indemnisation du préjudice subi du fait de l'intervention de ce décret devant le tribunal administratif d'Amiens, en invoquant la rupture de l'égalité devant les charges publiques. Le décret n'étant pas entaché d'illégalité, l'engagement possible de la responsabilité de l'Etat se situe sur le terrain de la responsabilité sans faute. Après avoir été déboutée en première instance, la société fait appel devant la Cour administrative d'appel de Douai.
La cour administrative d'appel de Douai va rejeter la demande de la coopérative agricole Ax'ion au motif « qu'en l'absence de dispositions législatives le prévoyant expressément, une telle mesure ne peut avoir pour effet d'ouvrir un droit à réparation au bénéfice de l'exploitant de l'activité visée par le législateur ».
La requérante soutient que cette décision est entachée de plusieurs erreurs de droit, notamment le fait que la cour de Douai ait placé la demande d'indemnisation sur le régime de responsabilité du fait des lois alors qu'il s'agissait d'un décret. Le Conseil d'Etat va répondre à cet argument que « le préjudice allégué trouve son origine dans la loi elle-même et non dans le décret du 16 avril 1999 » puisque le Premier Ministre n'aurait pas été investi de ce pouvoir sans cette loi. Il convient donc d'appliquer le régime de la responsabilité du fait des lois et non des décisions légales. Ce moyen est rapidement réglé.
Ce qui nous intéresse en l'espèce, c'est la raison pour laquelle le Conseil d'Etat annule partiellement l'arrêt de la Cour de Douai. En effet, tout en rappelant les caractéristiques que doit connaître le préjudice pour être indemnisable, la Haute juridiction affirme, contrairement aux juges du fond et en abandonnant la jurisprudence antérieure, que « le silence d'une loi sur les conséquences que peut comporter sa mise en oeuvre, ne saurait être interprété comme excluant, par principe, tout droit à réparation des préjudices que son application est susceptible de provoquer », en se plaçant sur le terrain de la responsabilité sans faute de l'Etat.
Ainsi, il est utile de nous demander quels changements opère cet arrêt du Conseil d'Etat dans les modalités d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois ?
Pour répondre à cette question, il convient d'étudier le revirement de jurisprudence effectué par le Conseil d'Etat (I) en supprimant une condition très restrictive, et l'affirmation par la Haute juridiction de la nécessité d'apprécier les conditions d'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois au cas par cas (II).
[...] Il est évident que d'autres propriétaires devaient être dans ce cas, vu le nombre de militaires servant en Algérie (ceux-ci et leur famille étaient inexpulsables du fait de la loi en cause), et que tous ne pouvaient être indemnisés. En l'espèce, la condition de spécialité était néanmoins remplie du fait que le propriétaire était en possession d'une décision de justice qui ordonnait l'expulsion des locataires. Ainsi, nous voyons bien que l'indemnisation acceptée en l'espèce par le Conseil d'Etat l'est du fait des circonstances de l'espèce, et elle ne l'aurait peut-être pas été dans d'autres circonstances. [...]
[...] Nous sommes effectivement bien loin des circonstances dans lesquelles Laferrière proclamait l'irresponsabilité de l'Etat législateur, ou même de Monsieur Chapus qui considérait la responsabilité du fait des lois comme un produit de luxe Cette solution est basée sur une volonté constante du Conseil d'Etat, dans tous les domaines, d'équilibrer les intérêts des uns et des autres, de ne pas laisser certains dommages excédant les risques résultant de la vie de tous les jours non réparés. Mais, ce que nous avons montré dans ce développement, c'est bien que la responsabilité du fait des lois demeure un principe qui n'est ni général ni absolu, et qui pose encore beaucoup de questions. [...]
[...] En effet, si le préjudice subi du fait de la loi en l'espèce pouvait être directement tiré des aléas que contiennent une exploitation, le Conseil d'Etat ne lui confèrerait certainement pas la qualité d'indemnisable. De plus, le préjudice doit revêtir un caractère anormal, anormalité appréciée non pas quant aux circonstances de sa survenance mais quant à la gravité du dommage. Ces conditions posées, nous voyons à présent que la caractérisation du dommage subi par une personne du fait d'une loi est indispensable pour engager la responsabilité de l'Etat, puisque nous sommes dans le domaine de la responsabilité sans faute. [...]
[...] Ce décret a ordonné la suppression des silos de stockage de céréales exploités à Soissons par la coopérative agricole du soissonnais en raison des dangers que cela représentait pour l'environnement. Ainsi, la coopérative agricole Ax'ion, venant aux droits de la coopérative précédente, a intenté une action en responsabilité contre l'Etat en indemnisation du préjudice subi du fait de l'intervention de ce décret devant le tribunal administratif d'Amiens, en invoquant la rupture de l'égalité devant les charges publiques. Le décret n'étant pas entaché d'illégalité, l'engagement possible de la responsabilité de l'Etat se situe sur le terrain de la responsabilité sans faute. [...]
[...] Le Conseil d'Etat accepte d'indemniser la société requérante au motif que rien, ni dans le texte même de la loi ou dans ses travaux préparatoires, ni dans l'ensemble des circonstances de l'affaire, ne permet de penser que le législateur a entendu faire supporter à l'intéressée une charge qui ne lui incombe pas normalement ; que cette charge, créée dans un intérêt général, doit être supportée par la collectivité (donc par l'Etat). Le législateur n'avait pas prévu de régime d'indemnisation et le Conseil d'Etat affirme que cette absence ne signifie pas un refus implicite de celui-ci d'envisager une indemnisation. Ainsi, cet arrêt gouverne la jurisprudence à partir de 1938. [...]
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