commentaire d'arrêt, Conseil d'État, 6 mars 2002, principes de la domanialité publique, arrêt Triboulet, droit de propriété des administrés
Cet arrêt du 6 mars 2002 du Conseil d'État montre la disproportion, dont peut faire preuve l'Administration, concernant le droit de propriété des administrés au profit de la protection de la domanialité publique, commandé par l'intérêt général.
En l'espèce, par deux arrêtés en date des 25 septembre 1909 et 25 août 1911 du préfet du Morbihan, Mr Auboin s'est vu octroyer une autorisation domaniale sur un terre-plein du domaine public maritime, moyennant le paiement d'une redevance. Une maison a été construite sur ce terre-plein et acquise par Mme Brosset en 1945 suite à une donation entre vifs. Jusqu'en 1990, Mme Brosset a obtenu plusieurs autorisations temporaires successives et la dernière est venue à expiration le 31 décembre 1990. Par une décision du 6 septembre 1993, le préfet du Morbihan a refusé le renouvellement de l'autorisation, mais a proposé à Mme Brosset une autorisation limitée lui interdisant notamment toute cession ou transmission de la maison et du terrain. L'administrée a refusé et a sollicité une concession d'endigage. Cette demande a été rejetée par le préfet le 9 mars 1994 et suite à deux mises en demeure en date des 4 juillet 1994 et 10 avril 1995, un procès-verbal de contravention de grande voirie a été dressé à l'encontre de Mme Brosset pour occupation sans titre du domaine. Mme Triboulet et Mme Brosset-Pospisil, venant aux droits de Mme Brosset, ont alors exercé un recours devant le juge administratif.
[...] I L'application stricte du régime du domaine public maritime naturel L'arrêt Triboulet est révélateur de la complexité des contentieux relatifs au domaine public maritime tenant au fait que ce domaine est défini par le législateur et non par l'affectation cela a comme effet de renforcer l'exorbitance de droit commun avec une application plus rigide de l'inaliénabilité et de l'imprescriptibilité A Une décision fondée sur l'imprescriptibilité et l'inaliénabilité Les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité sont complémentaires dans le sens où ils visent tous les deux à assurer la protection du domaine public. L'espèce offre ici une belle illustration de la complémentarité des deux principes. [...]
[...] Le Conseil d'État dispose donc que la sanction de destruction d'une habitation occupée depuis plus de 50 ans par des particuliers n'est pas de nature pénale, et donc que l'information de cette sanction ne nécessite pas le respect des délais prévus pour les sanctions de nature pénale. Ce raisonnement est basé sur le fait que cette maison ait été construite suite à des travaux d'exondement qui n'avaient pas été autorisés. Il faut néanmoins rappeler que jusqu'à la décision du non- renouvellement de l'autorisation, l'Administration ne s'était pas manifesté sur l'irrégularité de l'édification de la maison. Les juges du Palais-Royal vont donc ici très loin dans l'application stricte du régime de la protection du domaine public, et cette solution revêt un caractère très arbitraire. [...]
[...] Ces deux principes ont valeur législative, ils ont d'abord été consacrés par le code du domaine de l'État puis par le code général de la propriété des personnes publiques. Il convient de rappeler la valeur législative de ces deux principes, car le principe d'inaliénabilité a notamment fait l'objet de plusieurs exceptions par le législateur avec l'instauration en 1988 du bail emphytéotique, mais aussi par le juge administratif et la théorie des mutations domaniales[1]. Ici, c'est l'imprescriptibilité qui est d'abord avancée par le juge administratif, et qui indirectement assure l'inaliénabilité du domaine public. [...]
[...] Toutefois, la Cour européenne des droits de l'Homme a donné raison au Conseil d'État en 2010[6] suite à un nouveau recours formé par les requérantes sur le principal motif, issu de la jurisprudence antérieure[7], que l'Administration a bien pris soin de notifier aux intéressées la précarité de leur titre d'occupation. Néanmoins, on doute que ce soit sur cette seule dimension formelle, que la cour ait pris cette décision, mais que le but recherché par l'Administration en l'espèce, c'est-à-dire la protection de l'environnement, ait joué un rôle majeur dans cet arrêt. [...]
[...] Toutefois, la jurisprudence a admis que, suite à une contravention de grande voirie, certains droits pouvaient être accordés au contrevenant, notamment celui à ne pas être obligé de procéder lui-même à une remise en l'état des lieux[2]. C'est le cas en l'espèce puisque l'Administration laisse la possibilité de procéder elle-même à la restitution en l'état et donc à la destruction de la maison. C'est le seul geste de l'Administration dans l'application de ce régime tout à fait exorbitant de droit commun. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture