Dans sa décision du 16 mars 2004, la première chambre civile de la Cour de Cassation s'est prononcée sur une question dont les juges ont souvent à connaître : celle des effets du contrat et plus précisément de la permanence des obligations.
En l'espèce, la commune de Cluses, la société Les Repas Parisiens (LRP) et l'association Foyer des jeunes travailleurs (AFJT) avaient conclu une convention tripartite en 1984 au terme de laquelle l'AFJT sous-concédait à la LRP l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et la LRP s'engageait à payer un loyer annuel à l'AFJT et une redevance à la commune. La LRP ayant résilié unilatéralement le contrat « au motif qu'elle se trouvait dans l'impossibilité économique de poursuivre l'exploitation », l'AFJT et la commune de Cluses avaient obtenu en 1989, par ordonnance de référé, la condamnation de la LRP à poursuivre ladite exploitation, ce que la société n'a pas fait. Elle a saisi le TA de Grenoble en vue d'obtenir résiliation unilatérale alors que l'AFJT et la commune ont saisi le TGI de Bonneville afin d'obtenir des dommages- intérêts. En 1997, le Tribunal des conflits a déclaré la juridiction judiciaire compétente.
Les juges de la Cour d'appel de Chambéry ont jugé en 2001, que la LRP avait bien résilié unilatéralement le contrat et l'ont donc condamné à payer des dommages-intérêts à la commune de Cluses et à l'AFJT. Non contente de devoir indemniser la commune et l'association, la société Les Repas Parisiens s'est pourvu en cassation. Elle estimait que les juges du fonds avaient violé les articles 1134 et 1147 du Code Civil.
Le problème juridique posé à la Cour de Cassation s'articulait en deux temps : le changement de temps et de circonstances peut-il venir remettre en cause la force obligatoire du contrat ? Si oui, constitue-il un motif de résiliation unilatérale ?
Le 16 mars 2004, la première chambre civile a débouté la société de sa demande au motif que « la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat que, par sa négligence ou son imprudence, elle n'avait su apprécier ».
Dans le second moyen, les juges se sont prononcés sur le refus de la commune et de l'AFJT de poursuivre le contrat avec autre concessionnaire présenté par la LRP. Mais dans la mesure ou le concessionnaire successeur ne satisfaisait pas aux conditions requises, cette question ne pose pas de problème de droit et doit être écartée dès à présent.
Au regard de cette décision, toute la doctrine s'est interrogée sur la viabilité du principe de la permanence des obligations : les juges de Cassation y reprennent les motifs de la Cour d'appel selon lesquels « le refus de la commune et de l'AFJT de prendre en compte une modification imprévue des circonstances économiques » était « injustifié » mais ne pouvait pas emporter résiliation unilatérale du contrat uniquement parce qu'il n'avait pas été relevé pas la LRP. Est-ce à dire que les juges de Cassation acceptent aujourd'hui de prendre en compte la théorie de l'imprévision ?
S'il est légitime au regard de cette décision de se demander si le principe de la permanence des obligations n'est pas devenu caduc (I), une lecture plus attentive dénote d'une position certes adoucie de la part des juges de cassation, mais nullement novatrice (II).
[...] Commentaire d'arrêt : Civ 1ère mars 2004 Dans sa décision du 16 mars 2004, la première chambre civile de la Cour de Cassation s'est prononcée sur une question dont les juges ont souvent à connaître : celle des effets du contrat et plus précisément de la permanence des obligations. En l'espèce, la commune de Cluses, la société Les Repas Parisiens (LRP) et l'association Foyer des jeunes travailleurs (AFJT) avaient conclu une convention tripartite en 1984 au terme de laquelle l'AFJT sous- concédait à la LRP l'exploitation d'un restaurant à caractère social et d'entreprises et la LRP s'engageait à payer un loyer annuel à l'AFJT et une redevance à la commune. [...]
[...] Le principe de la permanence des obligations : un principe obsolète ? 1 Un principe centenaire C'est dans le célèbre arrêt canal de Craponne du 3 mars 1876 que les juges de cassation ont consacré le principe de la permanence des obligations, rejetant ainsi la théorie de l'imprévision selon laquelle lorsque la situation dans laquelle le contrat a été conclu a changé, il importe de le modifier et d'en adapter le contenu. Les juges ont d'ailleurs rappelé leur position au fur et à mesure de leur jurisprudence, c'est notamment le cas dans les arrêts du 6 juin 1921 et du 18 janvier 1980. [...]
[...] Les juges de la Cour d'appel de Chambéry ont jugé en 2001, que la LRP avait bien résilié unilatéralement le contrat et l'ont donc condamné à payer des dommages-intérêts à la commune de Cluses et à l'AFJT. Non contente de devoir indemniser la commune et l'association, la société Les Repas Parisiens s'est pourvue en cassation. Elle estimait que les juges du fonds avaient violé les articles 1134 et 1147 du Code Civil. Le problème juridique posé à la Cour de Cassation s'articulait en deux temps : le changement de temps et de circonstances peut-il venir remettre en cause la force obligatoire du contrat ? Si oui, constitue-il un motif de résiliation unilatérale ? [...]
[...] L'arrêt du 16 mars 2004 constitue-il un revirement de jurisprudence consacrant la théorie de l'imprévision, comme l'a laissé entendre la doctrine, ou ne s'agit-il que d'un arrêt d'espèce ne remettant n aucun cas le principe de la permanence des obligations en cause ? Le rejet de la théorie de l'imprévision et ses tempéraments 1 Une jurisprudence constante Comme nous l'avons rappelé, la position de la Cour de cassation, bien qu'elle apparaisse parfois contestable, n'a pas évolué depuis 1876 et l'arrêt du canal de Craponne: les juges rejettent la théorie de l'imprévision et refusent substituer des obligations au contrats pour un motif d'équité. [...]
[...] C'est là l'une des conséquences de la théorie de l'autonomie de la volonté. Soulignant le fait que la LRP ne pouvait fonder son retrait brutal et unilatéral sur le déséquilibre structurel du contrat les juges de Cassation en 2004 sont uniquement venu rappeler un principe qui jalonne leur jurisprudence depuis plus d'un siècle. Dans ce cas, pourquoi ont-ils ajouté au sujet de ce déséquilibre structurel qu'il ne pouvait remettre en cause la force obligatoire du contrat dans la mesure où la LRP n'avait su l'apprécier du fait de sa négligence ou de son imprudence ? [...]
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