Dans une matière telle que le contrôle de l'exercice des mesures de police administrative, le juge est nécessairement confronté à l'évolution des mœurs et ce notamment en matière de police du cinéma. La création artistique engage, en effet, la liberté d'expression et voit donc son exercice soumis aux impératifs de l'ordre public. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a jadis admis qu'un maire puisse interdire la projection d'un film en se fondant sur son caractère immoral (CE, 18 décembre 1959, Société « Les films Lutetia »). De même, le maire d'une commune où ont lieu des pèlerinages religieux peut interdire la projection d'un film en inadéquation avec l'image de cette commune.
À l'issue de la sortie du film Baise-Moi, qui avait reçu le visa d'exploitation nécessaire accordé par le Ministre de la Culture et de la Communication (dont les compétences en la matière ont été récemment élargies), conformément à l'avis de la commission d'exploitation, l'Association Promouvoir et des parents de mineurs de plus de 16 ans ont formé un recours pour excès de pouvoir devant la Conseil d'Etat, statuant en premier et dernier ressort, afin d'obtenir le reclassement de ce film dans la catégorie des films pornographiques et d'incitation à la violence, interdits aux mineurs de 18 ans.
Après avoir visionné le film, le Conseil d'Etat a considéré que ce film contenait « des scènes de grande violence et des scènes de sexe non simulées, sans que les autres séquences traduisent l'intention, affichée par les réalisatrices, de dénoncer la violence faite aux femmes par la société ». Aussi convient-il de considérer qu'il constitue « un message pornographique et d'incitation à la violence susceptible d'être vu ou perçu par des mineurs », pouvant relever de l'incrimination prévue par l'article 227-24 du Code pénal. Par conséquent, dans la mesure où la réglementation définissant les pouvoirs du ministre chargé du cinéma ne prévoit pas qu'une œuvre cinématographique puisse être interdite de toute représentation aux mineurs autrement que par son inscription sur la liste des films pornographiques ou d'incitation à la violence, le film devait être classé dans cette catégorie. La décision du ministre, prise sous l'empire du décret du 23 février 1990, de lui accorder un visa d'exploitation est donc annulée, malgré l'interdiction de représentation aux mineurs de 16 ans dont elle était assortie.
Confronté à l'évolution de la société, de ses mœurs et de sa mentalité, le Conseil d'Etat a d'abord dû faire évoluer sa conception du film pornographique. Quels sont donc les critères que le juge administratif pose aujourd'hui pour qualifier un film de pornographique ?
Ensuite, le Conseil d'Etat s'est trouvé confronté à un dilemme : chargé de contrôler la prévention des troubles à l'ordre public dans le cadre de la police administrative, il ne souhaite porter atteinte, dans le cadre de cette protection, au développement d'opérations commerciales. En effet, la loi soumet les films pornographiques à un régime fiscal très sévère. De facto, en qualifiant de la sorte le film contesté, le Conseil d'Etat fait peser sur lui une charge non prévue par ses promoteurs et donc susceptible de provoquer son échec commercial. La protection de l'ordre public doit-elle conduire à l'application par le juge administratif d'une législation dont ce n'est pas la finalité, avec des conséquences qui excèdent par leur nature la seule protection des mineurs ?
Le Conseil d'Etat a d'abord fait évoluer la pondération des critères propres aux films pornographiques et d'incitation à la violence (I) ; puis il a dû trancher ce dilemme quant aux conséquences de sa décision, en admettant de faire application de la loi du 30 décembre 1975 malgré les conséquences que sa décision fait ainsi peser sur le film au-delà des seules finalités de la police du cinéma (II) ; tout ceci afin de mettre les pouvoirs publics face à leurs responsabilités.
[...] Pourtant l'on retrouve dans ces deux films, et notamment dans Orange Mécanique, des scènes de viol et de violence comparables à celles de Baise- Moi. On constate donc que l'étroitesse de la catégorie des films X et surtout l'existence de cette seule catégorie pour interdire des films aux mineurs de 18 ans constituent une aberration nuisible à la fois à l'égalité des traitements et à l'efficacité de la protection de ces mineurs. En outre, dans l'optique de protéger les mineurs, certains films pourraient se voir recevoir une classification abusive ; ce qui irait à l'encontre des principes fondamentaux pourtant défendus par le juge. [...]
[...] Cependant, l'éclatement de ce régime protecteur en différents textes rend peu aisée sa mise en œuvre circonstancielle. C'est ainsi que l'on trouve d'abord le code de l'industrie cinématographique qui, dans son article 11, soustrait la représentation et l'exportation hors de l'Union Européenne de toute œuvre cinématographique à la délivrance par le Ministre de l'Information d'un visa d'exploitation. Et c'est alors à l'article 3 du décret du 23 février 1990 qu'il faut se reporter pour avoir des précisions quant à ce visa : le ministre ne peut délivrer ce viser qu'à l'issue de la délibération d'une commission de classification (mixte : jeunes habitués du cinéma et membres de l'administration) qu'il aura obligatoirement sollicité. [...]
[...] Commentaire d'arrêt : CE, Section juin 2000, Association Promouvoir Introduction Dans une matière telle que le contrôle de l'exercice des mesures de police administrative, le juge est nécessairement confronté à l'évolution des mœurs et ce notamment en matière de police du cinéma. La création artistique engage, en effet, la liberté d'expression et voit donc son exercice soumis aux impératifs de l'ordre public. C'est ainsi que le Conseil d'Etat a jadis admis qu'un maire puisse interdire la projection d'un film en se fondant sur son caractère immoral (CE décembre 1959, Société Les films Lutetia De même, le maire d'une commune où ont lieu des pèlerinages religieux peut interdire la projection d'un film en inadéquation avec l'image de cette commune. [...]
[...] Ce texte, c'est le Code pénal, qui, en son article 227-24, prononce des sanctions pénales pécuniaires et privatives de libertés à l'encontre de ceux qui exposent les mineurs à des films qui au-delà de leur être déconseillés, leur sont même interdits. Cet article expose ainsi à 75000 euros d'amende et à trois d'emprisonnement le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine, soit de faire commerce d'un tel message, est puni [ ] lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur Ce texte poursuit donc ici un objectif de protection des valeurs sociales protégées à l'image de la dignité humaine et de protection des citoyens les plus fragiles, les mineurs en l'occurrence. [...]
[...] Quels sont donc les critères que le juge administratif pose aujourd'hui pour qualifier un film de pornographique ? Ensuite, le Conseil d'Etat s'est trouvé confronté à un dilemme : chargé de contrôler la prévention des troubles à l'ordre public dans le cadre de la police administrative, il ne souhaite porter atteinte, dans le cadre de cette protection, au développement d'opérations commerciales. En effet, la loi soumet les films pornographiques à un régime fiscal très sévère. De facto, en qualifiant de la sorte le film contesté, le Conseil d'Etat fait peser sur lui une charge non prévue par ses promoteurs et donc susceptible de provoquer son échec commercial. [...]
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