Nombre de notions juridiques, stables ou évolutives, sont sous-jacentes à la loi ou à la jurisprudence, notamment à celle du Conseil d'Etat ; parfois, le juge est conduit à les formuler explicitement, de sorte qu'elles apparaissent dans le droit positif. Tel est le cas des principes généraux du droit (PGD), qui sont qualifiés tels depuis la décision Aramu du Conseil d'Etat (26 octobre 1945) et dont la révélation est devenue relativement courante dans la jurisprudence de la Haute juridiction administrative, sans être d'ailleurs absente de celle de la Cour de cassation (21 décembre 1987, BRGM).
Au dessus de ces PGD, de rang législatif, on trouve depuis le développement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, des principes à valeur constitutionnelle, comme les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), mentionnés et donc reconnus par le préambule de la Constitution de 1946, dont la valeur constitutionnelle a été consacrée sous la Cinquième République par la décision Liberté d'Association du Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971.
Mais le Conseil constitutionnel n'a pas le monopole de la « découverte » des principes à valeur constitutionnelle. C'est ainsi que le Conseil d'Etat, saisi d'un recours dirigé contre le décret d'extradition de M. Koné, a consacré le 3 juillet 1996 le principe selon lequel la France doit refuser l'extradition d'un étranger lorsqu'elle lui est demandée dans un but politique.
En l'occurrence, le Mali demandait l'extradition de l'un de ses ressortissants, M. Koné, afin de le juger pour complicité d'atteinte aux biens publics et enrichissement illicite. L'intéressé, dont l'extradition avait été décidée par le Gouvernement, contestait ce décret et soutenait que l'extradition était en réalité motivée par ses liens familiaux avec les anciens dirigeants maliens. Il invoquait ainsi la violation de l'article 5 de la loi du 10 mars 1927, en vertu de laquelle est prohibée l'extradition dans un but politique. Le Gouvernement lui opposait en défense la convention bilatérale franco-malienne du 9 mars 1962, dont l'article 44 ne prohibe pas l'extradition en fonction du mobile de la demande. Le Conseil d'Etat a rejeté la requête, non sur le fondement de ce traité, mais après avoir au contraire consacré la valeur de PFRLR de la règle posée par la loi de 1927 et au motif de fait que les pièces du dossier ne démontraient pas que l'extradition de M. Koné avait été demandée dans un but politique.
Si la consécration de ce principe n'a ainsi pas présenté d'intérêt pour le requérant, la solution retenue a une grande portée en droit. Quelle est la portée exacte de cette consécration ? Quelle conception de la hiérarchie des normes cela traduit-il ? Le Conseil d'Etat n'étend-il pas son pouvoir d'interprétation des normes supra-législatives au-delà de ce que permet la conception française de la séparation des pouvoirs ?
Outre qu'il élève le principe issu de la loi de 1927 au rang de PFRLR et élargit ainsi les garanties offertes aux étrangers soumis à la procédure d'extradition (I), l'arrêt Koné complète la construction jurisprudentielle de la hiérarchie des normes en ce qui concerne la place respective des conventions internationales, de la Constitution et de la loi, et confère au juge administratif un rôle spécifique dans l'interprétation des engagements internationaux de la France (II).
[...] La loi interdisant l'extradition demandée dans un but politique, le décret a été annulé. Le 7 juillet 1978, à l'occasion de l'arrêt Croissant, le Conseil d'Etat écarta comme inopérant le moyen tiré du mobile politique du Gouvernement requérant. En l'espèce, la convention franco-allemande du 29 novembre 1951, postérieure à la loi de 1927, ne prévoyait pas l'extradition pour motif politique et interdisait de la subordonner à des conditions non prévues par elle. Le Conseil d'Etat a jugé conformément à sa jurisprudence Syndicat général des fabricants de semoules de France. [...]
[...] Il invoquait ainsi la violation de l'article 5 de la loi du 10 mars 1927, en vertu de laquelle est prohibée l'extradition dans un but politique. Le Gouvernement lui opposait en défense la convention bilatérale franco-malienne du 9 mars 1962, dont l'article 44 ne prohibe pas l'extradition en fonction du mobile de la demande. Le Conseil d'Etat a rejeté la requête, non sur le fondement de ce traité, mais après avoir au contraire consacré la valeur de PFRLR de la règle posée par la loi de 1927 et au motif de fait que les pièces du dossier ne démontraient pas que l'extradition de M. [...]
[...] Cette jurisprudence a été abandonnée par l'arrêt d'Assemblée GISTI du 29 juin 1990, sauf pour la question très spécifique de la réciprocité (arrêt d'Assemblée du 9 avril 1999 Mme Chevrol-Benkeddach). Pour autant, le juge administratif doit alors respecter les décisions qui ont pu être prises par le Conseil Constitutionnel, dont les décisions sont revêtues de l'autorité de chose jugée (article 62 de la Constitution) ou par des juridictions internationales qui sont seules habilitées à interpréter le droit issu de l'organisation à laquelle elles appartiennent (notamment la Cour européenne de justice, pour le droit communautaire, et l'on sait que le Conseil d'Etat n'hésite plus à lui poser des questions préjudicielles, ni à respecter l'interprétation qu'elle donne). [...]
[...] Il en va de même pour le droit communautaire (arrêt du 3 décembre 2001, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique). Ce qui est vrai des dispositions de la Constitution de 1958 l'est aussi des principes intégrés par les juges constitutionnel et administratif dans le bloc de constitutionnalité. La supériorité des principes de valeur constitutionnelle sur les conventions internationales Le Conseil constitutionnel n'a jamais hésité sur ce point. C'est notamment au regard du préambule de 1946 qu'il a examiné la Convention de Rome portant statut de la Cour pénale internationale (décision du 22 janvier 1999), et plus précisément de ses alinéas 14 (respect des règles du droit public international) et 15 (limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix). [...]
[...] Certes, il peut alors conduire la France à méconnaître ses engagements internationaux et à mettre en jeu sa responsabilité. Il ne saurait l'ignorer, parce que précisément, juger c'est encore administrer Aussi peut-on penser que seules les atteintes les plus graves aux droits fondamentaux pourront justifier des décisions par lesquelles le Conseil d'Etat interdira à l'administration de respecter les engagements internationaux de l'Etat. L'arrêt Koné est sans doute également une invitation à renégocier des traités anciens et non compatibles avec la conception moderne des droits de l'homme en France. [...]
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