En 2000, suite à une requête introduite par une association de défense des sites, le Tribunal administratif de Nice annulait une décision préfectorale approuvant la réalisation d'une ligne électrique aérienne dans un paysage de montagne et, usant du nouveau pouvoir d'injonction offert au juge administratif depuis la loi du 8 février 1995, lui enjoignait de procéder à la dépose de la ligne irrégulièrement implantée. Après que la cour administrative d'appel de Marseille ait confirmé ce jugement, la Commune de Peille s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat. Elle contestait d'abord l'illégalité de l'arrêté du préfet. Mais sur ce point, le Conseil d'Etat, après avoir montré que le tribunal administratif n'avait pas commis d'erreur de droit en appliquant certaines dispositions du code de l'urbanisme à l'espèce, a eu le souci de ne pas empiéter sur l'appréciation souveraine des faits réalisée par le juge du fond. Cette pratique était déjà relevée par Stéphane Rials en 1981 dans sa thèse Le juge administratif et la théorie du standard : en tant que juge de cassation, le Conseil d'Etat est réticent à exercer son contrôle sur l'application de standards par le juge du fond (en l'espèce « un espace caractéristique du patrimoine naturel et culturel montagnard », « la beauté d'un site » et « une nécessité technique impérative »).
Restait cependant le problème de l'injonction à la dépose de l'ouvrage public. Cet aspect donne à l'arrêt un grand intérêt. Au rebours de l'adage classique (« ouvrage mal planté ne se détruit pas »), une évolution conjointe de la Cour de Cassation, du Tribunal des Conflits et du Conseil d'Etat tend en effet depuis le début des années 90 à remettre en cause le principe d'intangibilité des ouvrages publics. Nous verrons tout d'abord en quoi l'arrêt du Conseil d'Etat s'inscrit dans la continuité de cette récente évolution jurisprudentielle (I) avant de nous interroger sur la portée de la remise en cause qu'il incarne du principe d'intangibilité (II).
[...] Après que la cour administrative d'appel de Marseille ait confirmé ce jugement, la Commune de Peille s'est pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat. Elle contestait d'abord l'illégalité de l'arrêté du préfet. Mais sur ce point, le Conseil d'Etat, après avoir montré que le tribunal administratif n'avait pas commis d'erreur de droit en appliquant certaines dispositions du code de l'urbanisme à l'espèce, a eu le souci de ne pas empiéter sur l'appréciation souveraine des faits réalisée par le juge du fond. [...]
[...] La confirmation d'une récente mutation jurisprudentielle A. Les atteintes au principe d'intangibilité de l'ouvrage public Le principe d'intangibilité, qui remonte à un arrêt Robin de la Grimaudière de 1853, s'inscrit dans le cadre d'un régime juridique protecteur pour les ouvrages publics. L'administration ne pouvait se voir imposer de démolir un ouvrage public irrégulièrement implanté. Même si, pour reprendre la formule du Professeur Chapus, il est toujours difficile de justifier juridiquement la capitulation du droit devant le fait accompli l'intérêt général affecté à l'ouvrage justifiait qu'on lui accorde ce régime exorbitant du droit commun. [...]
[...] Après avoir en 1993, dans une espèce visant la Grèce, condamné le principe de l'expropriation indirecte, la CEDH allait dans un arrêt Hornsby Grèce souligner que le droit à un procès équitable garanti à l'article 6-1 de la Convention garantissait le droit à l'exécution du jugement. Faisant une interprétation large de cet arrêt, le commissaire du gouvernement, dans l'affaire Gasiglia estimait qu'annuler un permis de construire illégal sans ordonner la démolition de l'ouvrage construit allait à l'encontre de ce droit à l'exécution du jugement. La France n'a toutefois pas encore été jugée sur ce point par la CEDH et la validité de cette interprétation reste ouverte au doute. B. [...]
[...] Une évolution limitée Mais l'arrêt Commune de Peille confirme que cette remise en cause reste strictement encadrée et fait l'objet par le juge d'un usage prudent. Le principe de l'intangibilité reposait en effet sur deux fondements dont la prégnance est toujours manifeste : l'intérêt général et l'intérêt financier. La démolition d'un ouvrage public, qui serait immédiatement reconstruit ailleurs, apparaîtrait comme un sacrifice des deniers publics. D'autre part, la démolition d'un ouvrage public posé sur le domaine public pourrait porter atteinte à la continuité du service public élevé en 1979 au rang de principe à valeur constitutionnel. [...]
[...] Une évolution nécessaire La remise en cause de l'intangibilité des ouvrages publics irrégulièrement implantés apparaît nécessaire à plus d'un titre. Tout d'abord, même si, comme le rappelle Séverine Brondel dans son article le principe d'intangibilité des ouvrages publics, réflexions sur une évolution jurisprudentielle, il est difficile d'évaluer avec certitude l'impact de la doctrine sur les décisions juridictionnelles, les critiques dont l'intangibilité de l'ouvrage public ont pu constituer des sources d'influences pour juge. Le principal argument consistait à souligner que l'intérêt général n'a jamais dispensé l'administration de respecter le droit et que de nombreux actes, justifiés par un tel intérêt n'en sont pas moins annulés par le juge. [...]
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