Les décisions administratives ne sont pas toutes susceptibles de recours pour excès de pouvoir. En effet, le juge administratif s'est déclaré incompétent en la matière pour les circulaires interprétatives, par exemple, ou les documents internes à l'administration qui ne font pas grief aux tiers (CE Ass. 29 janvier 1954, Institution Notre-Dame du Kreisker). En l'espèce, ce sont les mesures d'ordre intérieur, prises au sein de certaines enceintes (militaires, scolaires, carcérales…) que le juge administratif se refuse à connaitre.
M. Remli, un condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, pour avoir commis un homicide en s'évadant, a été à l'origine de nombreux mouvements de protestation à l'intérieur même d'établissements pénitentiaires. C'est pour cela qu'il a été fréquemment transféré d'établissements en établissements. En l'espèce, il avait interjeté appel d'un jugement du tribunal administratif de Versailles, qui avait rejeté comme irrecevable son recours intenté à l'encontre d'une décision du 18 juin 1998 du directeur de la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy le plaçant à l'isolement contre son gré.
La Cour administrative d'Appel a admis la recevabilité du recours pour excès de pouvoir formé contre cette mesure et a sanctionné par l'annulation l'illégalité pour défaut de motivation. Considérant que cette mesure était une mesure d'ordre intérieur et que, de facto, elle ne nécessitait aucune motivation, le Ministre de la Justice a formé un pourvoi en cassation de l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Paris devant le Conseil d'Etat.
Deux critères fondamentaux permettent de cerner la mesure d'ordre intérieur : la mesure doit avoir un caractère interne à l'administration qui en est l'auteur (« la vie intérieure de l'administration » pour Maurice Hauriou), d'une part, et n'avoir aucun effet sur le statut juridique de son destinataire, d'autre part.
Cet arrêt de la cour administrative d'appel de Paris, confirmé par le Conseil d'Etat, constitue, certes un revirement de jurisprudence, mais s'inscrit, en réalité, dans un mouvement de réduction du domaine des mesures d'ordre intérieur au profit de celui des actes faisant grief, id est ceux susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Si le Conseil d'Etat avait déjà ouvert les portes de ces institutions, par les arrêts du 17 février 1995 Hardouin et Marie, en acceptant de connaître des sanctions prises à l'encontre de militaires ou de détenus, l'arrêt ici étudié va plus loin en rétrécissant la notion même de mesure d'ordre intérieur pour les cas de placement à l'isolement de détenus contre leur gré.
Mais ce revirement de jurisprudence en ce qui concerne les mesures d'isolement carcéral contre le gré du détenu était attendu (I) ; ce revirement était même devenu inévitable au vu de l'évolution de la jurisprudence au sein des enceintes de certaines institutions que le juge administratif a longtemps répugné à franchir (II)
[...] Costa) au motif que l'acte attaqué lèse suffisamment le détenu dans ses droits et ses intérêts Le recours pour excès de pouvoir est donc considéré comme recevable car cette décision est qualifiée de décision faisant grief et non plus de mesure d'ordre intérieur car elle revêt un véritable caractère décisoire pour le détenu et car la condition de recevabilité touche ici au requérant et non à l'acte Les conséquences négatives sur la situation du détenu conditionnent en réalité l'intérêt à agir du requérant La nécessaire motivation de cette décision - Se fondant sur l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979, le Conseil d'Etat estime que la décision de placement à l'isolement d'un détenu contre son gré doit être motivée car pour la Cour administrative d'Appel, ceci imposait des sujétions - En l'espèce, c'est une motivation stéréotypée qui est reprochée au directeur de l'établissement pénitentiaire. Le Conseil d'Etat s'est en quelque sorte attaché à l'étude de la proportionnalité de cette mesure aux faits qui l'ont causée. [...]
[...] Odent, ce n'est pas la logique pure mais le vestige d'une vieille tradition qui a conduit le Conseil d'Etat à se réfugier derrière l'adage de minimis non curat praetor ; tradition qui, dans les services publics [ conserve aux autorités responsables une marge de pouvoirs dont elles peuvent user discrétionnairement [ ] sans aucun contrôle juridictionnel. - Cette absence de possibilité de recours était aussi motivée par la volonté de ne pas encombrer les juridictions administratives. Mais cela n'est-il pas à remettre en question depuis le développement des mesures d'urgence et notamment du référé-suspension ? Son évolution au sein des établissements pénitentiaires - Un arrêt du Conseil d'Etat a eu pour but de déroger, ou du moins de poser des limites à cette vieille tradition : l'arrêt Marie suscité. [...]
[...] Toutefois, le Conseil d'Etat traduit une conception de plus en plus humaniste dans la sphère juridique. - Même si l'échec du dernier projet de Constitution européenne a enterré le principe suivant : obligation pour l'administration communautaire de motiver ses actes (article 41, ; il traduit une évolution vers la nécessaire motivation à laquelle le Conseil d'Etat a peut-être voulu faire écho. Violation du droit à être jugé par un tribunal et du droit au recours ? - En vertu de l'article 6 de la CEDH applicable à la matière pénale, n'a-t- on pas craint que cette pratique de mesure d'ordre intérieur dans les cas de placement à l'isolement contre le gré du détenu s'oppose au principe du contradictoire et donc viole le droit à être jugé par un tribunal ? [...]
[...] C'est le juge administratif qui a modifié les catégories juridiques en l'espèce par la requalification en acte faisant grief. II Un revirement de jurisprudence inévitable A / La pression de la cour européenne Les Droits de l'Homme - On peut déceler dans cet arrêt l'influence de la CEDH sur notre droit interne. Et ce notamment en ce qui concerne les conditions de vie des détenus dans le milieu carcéral français. La procédure d'isolement ne déroge cependant nullement à l'article 3 de la CEDH sur les traitements inhumains et dégradants. [...]
[...] - De même avec la loi sur la laïcité et les codes vestimentaires. Rétrécissement de la notion de mesure d'ordre intérieur dans le domaine militaire - Traditionnellement, les mesures de police interne et les punitions relèvent de la mesure d'ordre intérieur : CE 11 juillet 1947 Dewavrin. - Avec l'arrêt Hardouin, il est retenu que lorsque ces mesures portent atteinte à la liberté d'aller et venir des militaires ne peuvent être reconnues mesures d'ordre intérieur. Désormais, les régimes de contestation sont unifiés pour tous les agents publics. [...]
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