Le droit à la propriété étant en principe « inviolable et sacré », l'expropriation ne peut être réalisée que si elle est génératrice d'intérêt général et d'utilité publique. Le contrôle de l'utilité publique de l'opération est un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation.
Après la fin d'une enquête publique, les pouvoirs publics peuvent prononcer la déclaration d'utilité publique (DUP) d'un projet. Celle-ci doit prendre la forme d'un décret en Conseil d'État pour les opérations les plus importantes (construction d'une autoroute, d'une ligne de chemin de fer…).
Dans le cas d'opération moins importante, si les conclusions de l'enquête sont favorables, la déclaration peut faire l'objet d'un simple arrêté ministériel ou préfectoral.
Les annulations de déclarations d'utilité publique, sur la base de la théorie du bilan, sont suffisamment rares pour être signalées. Le Conseil d'État avait procédé, en mars 2003, à une telle annulation, s'agissant de l'aménagement d'un créneau de dépassement à 2 × 2 voies sur une route nationale, au motif que l'opération envisagée, ayant pour effet un transfert du trafic des poids lourds sur des routes départementales traversant des centres bourgs, était de nature à entraîner un danger permanent et des nuisances accrues pour la population locale. (CE, 19 mars 2003 « Ferrand »).
Ces annulations de DUP interviennent le plus souvent lorsque les intérêts en cause sont minimes, dans de petites communes, pour protéger le droit de propriété d'une seule personne privée parfois lorsqu'il est menacé par un projet discutable ou, plus exceptionnellement, lorsque les projets sont manifestement déraisonnables.
Au contraire les grandes opérations d'intérêt national, même les plus controversées, n'ont « quasi » jamais été condamné par le Conseil d'Etat sur la base de la jurisprudence « Ville Nouvelle-Est » (que nous étudierons plus tard) et ceci même lorsque les sections administratives de la Haute Assemblée se montraient très critiques sur l'utilité du projet.
L'eau représente en Charente-Maritime un facteur économique clé, en particulier pour ces trois grands secteurs fondamentaux que sont l'agriculture, la conchyliculture et le tourisme.
L'arrêt du Conseil d'Etat rendu le 22 octobre 2003 « Association SOS Rivières » est un recours contre un décret pris en Conseil d'Etat et une belle illustration de l'annulation d'un projet d'envergure étatique soutenu par le département de la Charente Maritime, sur la base de la théorie du bilan.
Le décret du 29 janvier 2001, déclarait d'intérêt général et d'utilité publique le barrage de la Trézence dans le département de la Charente-Maritime dont les objectifs étaient de favoriser la production d'huîtres dans le bassin de Marenes-Oléron et de soutenir les débits d'étiage de la Charente et de la Boutonne. Le département de la Charente-Maritime faisait valoir en outre que les plans d'eau créés par le barrage constitueraient un facteur d'attraction touristique.
Plusieurs requêtes ont été enregistrées au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat au sujet de ce décret.
Considérant qu'elles appelaient à traiter des mêmes questions, le Conseil d'Etat a décidé de les joindre pour qu'il soit statué par une seule décision. Les associations de protection de l'environnement et de structures vertes (Association SOS Rivières et environnement, le Parti des verts Poitou-Charentes, le Parti des verts Charente-Maritime, et l'Association nationale pour la protection des eaux et rivières-TOS) demandent au Conseil d'Etat d'annuler le décret du 29 janvier 2001 déclarant d'intérêt général et d'utilité publique le barrage.
Le Conseil d'Etat devait se demander si la construction du barrage de la Trézence présentait ou non un intérêt public justifiant sa construction et si oui, il devait encore vérifier que les inconvénients de l'opération n'étaient pas de nature à s'opposer à la construction du barrage, il va pour cela appliquer la théorie dite du bilan dégagée en 1971 par l'arrêt « Ville Nouvelle-Est », il faut souligner ici qu'il applique la théorie à un projet important.
Depuis la jurisprudence « Ville Nouvelle Est », le Conseil d'Etat considère qu' « une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et éventuellement les inconvénients d'ordre social qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ». On trouve là une formulation de la théorie du bilan.
Le Conseil d'Etat accueille les requêtes et annule le décret du 29 janvier 2001 déclarant d'utilité publique la construction du barrage de la Trézence en raison de son faible intérêt et de ses inconvénients d'ordre écologique et financier. Les bénéfices attendus pour l'ostréiculture dans le bassin de Marennes-Oléron et pour le tourisme apparaissaient très limités.
Le Conseil d'Etat va tout d'abord regarder les avantages de l'opération, les objectifs avancés par l'expropriant dans la DUP et qui pourraient justifier son utilité publique (I), avant d'y opposer les inconvénients et dire si le projet conserve bien une utilité publique au regard des inconvénients qu'il pourrait engendrer (II).
[...] Voyons maintenant ce que le Conseil d'Etat a pensé du second argument tiré du meilleur écoulement de la Charente en faveur de l'utilité publique. L'objectif second du barrage: soutenir les débits d'étiage C'était le second objectif avancé en faveur de la construction du barrage dans la déclaration d'utilité publique et encore une fois le Conseil d'Etat va rapidement remarquer que le dossier ne fait pas apparaître que la réalisation du barrage permettrait de restaurer des débits suffisants de la Charente et de la Boutonne dès lors que les quotas de prélèvements autorisés pour l'irrigation seraient augmentés. [...]
[...] Ces exemples nous indiquent qu'il s'est passé quelque chose dans cet arrêt de 2003, on discute longuement de l'utilité publique d'un barrage, ce n'est plus évident. Au vu des éléments précédents, le dossier a peut-être simplement été mal monté et dans ce cas on comprend très bien pourquoi le Conseil d'Etat va être conduit à annuler la DUP mais ne nous avançons pas trop vite, une faible utilité publique a été admise par le Conseil d'Etat, voyons face à elle les inconvénients qui ont été souligné. [...]
[...] Commentaire de l'arrêt CE octobre 2003, Association SOS Rivières Le droit à la propriété étant en principe inviolable et sacré l'expropriation ne peut être réalisée que si elle est génératrice d'intérêt général et d'utilité publique. Le contrôle de l'utilité publique de l'opération est un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation. Après la fin d'une enquête publique, les pouvoirs publics peuvent prononcer la déclaration d'utilité publique (DUP) d'un projet. Celle-ci doit prendre la forme d'un décret en Conseil d'État pour les opérations les plus importantes (construction d'une autoroute, d'une ligne de chemin de fer Dans le cas d'opération moins importante, si les conclusions de l'enquête sont favorables, la déclaration peut faire l'objet d'un simple arrêté ministériel ou préfectoral. [...]
[...] Le Conseil d'Etat remarque que la notice explicative jointe au dossier fait apparaître que l'eau serait de mauvaise qualité, d'une couleur noire, susceptible de dégager des odeurs de méthane et d'hydrogène sulfuré liées à la décomposition de la matière organique, que la forte charge de cette eau en matière organique serait susceptible d'avoir des conséquences négatives sur les poissons vivants dans les cours d'eau situés en aval ainsi que sur les huîtres et autres coquillages. C'est dire combien le Conseil d'Etat regarde les détails, c'est tout juste s'il n'est pas prêt à se déplacer sur le lieu du projet pour aller vérifier lui-même si l'opération projetée est réalisable ou non au regard des inconvénients qu ‘elle pourrait soulever, en l'espèce pour l'environnement. Après cela, le Conseil d'Etat déclare que les inconvénients du projet l'emportent sur les avantages, faisant ainsi perdre à l'opération son caractère d'utilité publique. [...]
[...] Il annule le décret. Ce sont des inconvénients d'ordre écologique et financier qui ont fait perdre au projet de grande importance son caractère d'utilité publique, remarquons là que c'est une nouveauté. Essayons d'expliquer ce qui a pu vraiment se passer, nous verrons qu'il ne faut peut-être pas y voir une révolution dans la jurisprudence, du moins, pas pour le moment. Le caractère exceptionnel de l'annulation d'un grand projet Dès 1971 ; le Conseil d'Etat s'est emparé du bilan coût-avantage et lui a donné pleine application dans des opérations de portée limitée. [...]
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