A mesure qu'il évolue, le droit administratif autorise une diversification croissante des modalités selon lesquelles sont assurées les missions de service public. Les catégories classiques ne suffisent pas toujours à caractériser les modalités de l'intervention publique. Curieusement, les innovations ne concernent pas seulement les organismes nouveaux créés par le législateur ou le pouvoir réglementaire.
Alors que la Banque de France entame son troisième siècle d'existence, il est surprenant de constater que son statut n'a pas été définitivement clarifié. C'est ainsi que, dans l'arrêt commenté du 22 mars 2000 (faisant suite à celui du Tribunal des conflits en date du 16 juin 1997, Société Lafontaine de Mars, M. et Mme Muet contre Banque de France), le Conseil d'Etat a été conduit à trancher la question de la classification de la Banque de France.
C'est pour trancher un recours, intenté par différents syndicats, contre des décisions réglementaires du gouverneur de la Banque de France relatives aux conditions d'élection des délégués du personnel que le Conseil d'Etat (compétent en application de la jurisprudence du Tribunal des conflits du 15 janvier 1968 Epx Barbier) a dû se prononcer sur cette question.
Deux questions principales sont réglées par cet arrêt : à quelle catégorie appartient cette institution si particulière que constitue la Banque de France ? Par la suite, à quel régime juridique est soumis son personnel ?
Pour le Conseil d'Etat statuant au contentieux, qui reprend à son compte la jurisprudence du Tribunal des conflits et un avis de son assemblée générale du 9 décembre 1999, l'impossible rattachement de la Banque de France à l'une des catégories classiques de personnes administratives depuis au moins la loi du 4 août 1993 en fait nécessairement une personne publique sui generis.
Le Conseil d'Etat juge ensuite que c'est néanmoins le droit privé (le code du travail) qui régit les relations entre la Banque de France et ses agents, alors même que la loi attribue depuis 1806 à la juridiction administrative la connaissance de ces litiges individuels de travail (en dérogeant donc au principe de la liaison de la compétence et du fond), et que le service public assumé par la Banque de France est administratif (et donc par dérogation à la jurisprudence Berkani du Tribunal des conflits).
La situation dans laquelle se trouve le personnel de la Banque de France semble donc paradoxale. Pour originale qu'elle soit, elle découle néanmoins du statut de cette institution et d'un faisceau d'indices.
La nature particulière de cette institution (I) est ainsi à l'origine du régime exorbitant de son personnel (II).
[...] Il fallait donc se demander ce qu'il en était de la Banque de France. C'est pourquoi, à la suite de son commissaire du gouvernement Henry Savoie qui proposait de confirmer la solution donnée par l'avis du 9 décembre 1999, le Conseil d'Etat qualifie la Banque de France de personne publique sui generis La Banque de France n'est pas un établissement public industriel et commercial En effet, la Banque de France ne peut être qualifiée d'EPIC. Le Conseil d'Etat, reprenant les critères de son arrêt de principe du 16 novembre 1956 (Union syndicale des industries aéronautiques) conclut que celle-ci n'appartient pas à la catégorie des EPIC, eu égard à la nature administrative de la majorité de ses missions de service public. [...]
[...] La spécificité du régime du personnel de la Banque de France, spécificité originelle, a été confirmée par les lois de 1973 et 1993, et ce malgré le changement (implicite) de nature juridique de la Banque de France. L'article 21 de la loi de 1993 aurait pu faire pencher la balance du côté du droit public, car la compétence juridictionnelle et le droit applicable vont naturellement de pair, comme conséquence de la séparation des pouvoirs telle que conçue en France depuis deux siècles. [...]
[...] L'arrêt commenté apporte la confirmation par le Conseil d'Etat statuant au contentieux de la qualité de personne publique de la Banque de France, qui n'a dès lors pas éprouvé le besoin de justifier cette qualification. Elle résulte donc sans doute, à ses yeux, de l'arrêt du Tribunal des conflits. Des missions de service public administratif En tant que personne publique, et par suite des nécessités qui ont entraîné sa création, la Banque de France poursuit une mission de service public administratif, même si certaines de ses activités sont soumises à la législation civile et commerciale (article 21 de la loi du 4 août 1993). [...]
[...] Commentaire d'arrêt : CE mars 2000, Syndicat autonome du personnel de la Banque de France et autres Introduction A mesure qu'il évolue, le droit administratif autorise une diversification croissante des modalités selon lesquelles sont assurées les missions de service public. Les catégories classiques ne suffisent pas toujours à caractériser les modalités de l'intervention publique. Curieusement, les innovations ne concernent pas seulement les organismes nouveaux créés par le législateur ou le pouvoir réglementaire. Alors que la Banque de France entame son troisième siècle d'existence, il est surprenant de constater que son statut n'a pas été définitivement clarifié. [...]
[...] Le Conseil d'Etat a conforté ce raisonnement en se fondant sur la loi DSP (de 1983, donc postérieure à 1973) ; en effet, la Banque de France y est exclue du champ d'application du titre II qui fixe des dispositions dérogatoires aux règles de droit privé. Le législateur a donc laissé explicitement ces agents dans le champ du code du travail. Conclusion Cet arrêt peut paraître très prétorien, car il demeure un doute sur l'intention réelle du législateur de 1993 et surtout en raison de la déconnexion entre la compétence et le fond, qui est tout à fait exceptionnelle (pendant de l'arrêt Giry de 1956), avec un juge administratif appliquant le droit du travail dans des litiges individuels. [...]
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