Rendu sur les conclusions de Mme Pécresse, Commissaire du gouvernement, l'arrêt du 14 février 1997 permet d'étudier la position du Conseil d'Etat, sur un problème touchant à la fois au droit et à l'éthique. Il s'agit en effet de déterminer les conséquences juridiques d'un diagnostic prénatal mal posé, ayant entraîné la naissance d'un enfant trisomique.
L'arrêt Blanco (1873) avait ouvert la porte au développement d'un régime de responsabilité extracontratuelle de l'administration quand elle a commis une faute. Le secteur de la responsabilité médicale est sans doute l'un des domaines les plus en effervescence dans le droit de la responsabilité administrative ; le juge instituant un régime de plus en plus protecteur des intérêts de la victime. C'est dans ce contexte que s'inscrit cet arrêt du Conseil d'Etat.
Mme Quarez, 42 ans, enceinte pour la deuxième fois, demande à subir, au CHR de Nice, un examen prénatal par amniocentèse. Cet examen vise à déceler la présence d'éventuelles anomalies génétiques, le risque d'avoir un enfant trisomique étant quarante fois supérieur à la normale pour une femme de cet âge. Opérée dans de bonnes conditions, l'amniocentèse permet de poser un diagnostic fiable à 99, 9 %. Mais le prélèvement opéré sur Mme Quarez s'est révélé particulièrement peu fertile, et son observation par les médecins ne leur a pas paru probante. C'est dans ces conditions que l'hôpital a informé les époux Quarez que « l'examen chromosomique effectué sur les cellules foetales, prélevées par amniocentèse, n'a pas révélé d'anomalie chromosomique, détectable par les moyens actuels ». Pourtant quatre mois plus tard, Mme Quarez donnait naissance à un petit Mathieu, atteint d'une trisomie 21. Les époux Quarez saisissent alors, en leur nom propre et au nom de leur enfant, le tribunal administratif de Nice d'une action en responsabilité contre l'hôpital. Dans un jugement du 9 mai 1990, ce dernier considère que l'hôpital n'a commis aucune faute lourde et rejette la demande de dommages et intérêts présentée par les époux Quarez. Ce jugement est annulé par un arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon, rendu le 21 novembre 1991. La Cour a estimé que l'hôpital avait commis une faute lourde, en ne précisant pas aux époux Quarez que l'examen ne permettait pas d'exclure l'existence d'une trisomie. En conséquence, le CHR est condamné à verser à l'enfant une rente viagère mensuelle de 5 000 F jusqu'à sa majorité et à chacun des parents une indemnité de 100 000 F. Saisi d'un pourvoi en cassation, le Conseil d'Etat a estimé qu'en décidant qu'il existait un lien de causalité directe entre la faute commise par le CHR et le préjudice résultant pour l'enfant de la trisomie dont il est atteint, la Cour administrative de Lyon avait entaché son jugement d'une erreur de droit. Le Conseil d'Etat annule donc l'arrêt et décide de régler lui-même l'affaire sur le fond, sur la base de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987. Une bonne administration de la justice exigeait en effet que l'affaire soit tranchée définitivement. Le Conseil d'Etat conclu que le CHR avait bien commis une faute, en n'informant pas les époux que les résultats de l'examen pouvaient être affectés d'une marge d'erreur, et que cette faute était la cause directe des préjudices subis par eux. Seuls les époux peuvent donc obtenir réparation. Le Conseil d'Etat leur attribue une rente mensuelle de 5 000 F, pendant toute la durée de la vie de Mathieu, ainsi qu'une indemnité de 100 000 F à chacun.
Le Conseil d'Etat estime que le centre hospitalier a commis une faute qui est la cause directe du préjudice subi par M. et Mme Quarez (I). De ce fait, la responsabilité du CHR de Nice est engagée et ouvre droit à réparation aux époux Quarez, mais pas à leur fils (II).
[...] Mais la Cour administrative d'appel de Lyon a considéré le contraire et accordé une indemnité aux parents et à l'enfant. Le Conseil d'Etat censure cette décision en affirmant qu'il n'y a pas de relation entre la faute de diagnostic commise par l'hôpital et le handicap de l'enfant. Le Conseil d'Etat avait accepté d'indemniser un enfant handicapé (CE septembre 1989, Mme Karl) mais le handicap provenait de l'échec fautif de l'IVG qui avait été pratiquée sur sa mère. Dans la présente espèce, la trisomie de Mathieu ne trouve pas sa cause dans une intervention médicale. [...]
[...] Le Conseil d'Etat conclu que le CHR avait bien commis une faute, en n'informant pas les époux que les résultats de l'examen pouvaient être affectés d'une marge d'erreur, et que cette faute était la cause directe des préjudices subis par eux. Seuls les époux peuvent donc obtenir réparation. Le Conseil d'Etat leur attribue une rente mensuelle de pendant toute la durée de la vie de Mathieu, ainsi qu'une indemnité de F à chacun. Le Conseil d'Etat estime que le centre hospitalier a commis une faute qui est la cause directe du préjudice subi par M. [...]
[...] Si le juge accepte de réparer le préjudice de l'enfant du fait de sa naissance, le médecin sera de plus en plus enclin a conseiller une IVG dès que le moindre risque de trisomie se manifestera, pratiquant en cela un véritable tri génétique. [...]
[...] L'hôpital a ainsi manqué à une des missions classiques d'un service public hospitalier : le devoir d'information. Le médecin a en effet obligation d'informer son patient et de recueillir son consentement éclairé préalablement à toute intervention. En matière de détection d'une trisomie 21, la jurisprudence est constante sur le devoir d'information pesant sur le médecin. Cette obligation est particulièrement importante, d'abord parce que l'on sait que les résultats d'une amniocentèse ne peuvent jamais être totalement fiables et aussi à cause de la volonté des époux Quarez de faire pratiquer une interruption volontaire de grossesse pour motif thérapeutique, au cas où le caryotype révélerait un risque de trisomie. [...]
[...] La question a été tranchée dans l'arrêt Delle R Ass juillet 1982). Dans cette affaire, la requérante avait accouché d'un enfant parfaitement constitué, alors qu'elle avait subi une IVG, qui avait donc échoué. Le Conseil d'Etat avait alors affirmé que la naissance d'un enfant n'est pas génératrice d'un préjudice de nature à ouvrir à la mère droit à réparation mais il assortit immédiatement le principe d'une réserve, en ajoutant : à moins qu'existent des circonstances ou une situation particulières, susceptibles d'être invoquées par l'intéressé Tels sont les cas où l'enfant naît handicapé mentalement ou physiquement ou ceux où la naissance de l'enfant est à l'origine d'un incontestable préjudice soit parce qu'il y a eu viol ou inceste, soit parce que la naissance survient dans un cadre défavorisé et constitue une cause supplémentaire de déséquilibre. [...]
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