En 1998, la jurisprudence confirme le principe de « liberté contractuelle des personnes publiques » (CE Sect. 1998 Soc. Borg Wagner). L'administration possède en effet un pouvoir discrétionnaire en ce qu'elle a le choix de passer aussi bien un contrat administratif qu'un contrat relevant du droit privé (CE 6.12.1903 Terrier), le contrat administratif répondant cependant à des critères bien précis comme peut nous l'illustrer cet arrêt de Section du Conseil d'Etat du 18 juin 1976.
En vertu d'une convention en date du 5 mai 1958 signée avec l'Etat, le Crédit Foncier consent à dame Culard le 1ier septembre 1958 un prêt (par contrat) de 42 644,60 F. Par suite du non-paiement des annuités de ce prêt et après mise en demeure, le ministre de l'Economie et des Finances dirige à l'encontre de Mme Culard le 13 juillet 1966 un Etat exécutoire en paiement des sommes dues.
En contestation de cette décision, dame Culard saisit le Tribunal administratif de Paris prétendant à son annulation. Par un jugement du 25 juin 1974, le Tribunal administratif rejette la requête de la demanderesse comme portée devant une juridiction incompétente. La requérante décide dès lors d'interjeter appel devant le CE ; d'une part en annulation du jugement du TA, d'autre part en annulation de la décision ministérielle.
Dame Culard invoque deux principaux moyens tirés de l'irrégularité de la décision ministérielle. Un premier moyen fondé sur le fait que certaines stipulations contractuelles soustrairaient la requérante de ses obligations (contractuelles) dès lors que ses biens ont été nationalisés par le gouvernement tunisien. Un second moyen opposant à la décision, la créance qu'elle détiendrait sur l'Etat du fait de sa responsabilité dans cette même nationalisation.
Il s'agissait donc de savoir si un contrat passé entre deux personnes privées pouvait revêtir un caractère administratif dès lors qu'un des cocontractants agit pour le compte d'une personne publique ?
Le CE détermina le caractère administratif du contrat de prêt passé entre le Crédit foncier et dame Culard. Il se déclara ainsi compétent pour traiter du litige et annula le jugement du TA de Paris. Il débouta ensuite dame Culard de sa requête.
Le juge administratif constate en effet que « les contrats passés entre le Crédit foncier de France et les emprunteurs ont été conclus pour le compte de l'Etat (d'une part) et avaient pour objet l'exécution même du service public d'aide aux Français rapatriés de Tunisie (d'autre part) ». Les deux critères clairement identifiés ici à savoir un critère organique (très spécifique en l'espèce : « pour le compte de l'Etat ») ainsi qu'un critère matériel (plus classique) relatif à l'objet même du contrat (l'exécution d'un service public) sont deux éléments cumulatifs indiquant l'administrativité des contrats que peut passer le Crédit foncier avec ses usagers.
Cet arrêt constitue par ailleurs une extension de la jurisprudence de 1975 en ce que la théorie du mandat implicite s'applique désormais à tous les contrats et non plus seulement aux contrats de travaux publics (CE Sect. 30.5.1975 Soc. d'équipement de la région Montpelliéraine).
Ainsi, la reconnaissance d'un intérêt de l'Etat aux parties du contrat de prêt caractérisant le mandat implicite (I) confère à ce même contrat un caractère administratif lorsque notamment son objet est d'exécuter une activité de service public (II).
[...] Il faut en effet qu'il s'y ajoute un caractère matériel (relatif à l'objet du contrat). II) La présence de deux critères matériels au contrat administratif Le juge disposant d'un choix retiendra le critère du service public au détriment du critère des clauses exorbitantes du droit commun Une application classique du critère du service public Le juge constate en effet que le contrat passé par le Crédit foncier et dame Culard avait pour objet l'exécution même du service public d'aide aux Français rapatriés de Tunisie Le critère du service public permet ainsi d'admettre, complétant le critère organique, l'administrativité du contrat de prêt. [...]
[...] L'activité est bien donc d'intérêt général (conformément à la distinction faite par R. Chapus entre une activité de plus grand service et une activité de plus grand profit ; pour une illustration (CE Rolin, relatif à l'activité de la Française des jeux). Par ailleurs, rien n'indique dans l'arrêt la présence de prérogatives de puissance publique (pour une illustration : CE 1961 Magnier et CE 1963 Narcy). Enfin, il convient de préciser que le Crédit foncier participe activement à l'exécution du Service public, car celui-ci est chargé de signer les contrats avec les intéressés. [...]
[...] En l'espèce, le Crédit foncier, Société commerciale passe un contrat de prêt avec dame Culard. Le contrat passé entre deux personnes privées est par principe un contrat relevant du droit commun et du juge judiciaire. Et ceci, bien que le Crédit foncier ait été chargé par l'Etat en vertu d'une convention du 5 mai 1958 d'exécuter une mission de Service public d'aide aux Français rapatriés de Tunisie Ce fut ainsi en application de ce principe que le TA par son jugement se déclara incompétent à connaître d'un litige relevant (en apparence) de deux personnes privées. [...]
[...] Le service public se définit dès lors comme une activité d'intérêt général gérée par une personne privée (le Crédit foncier) sans prérogatives de puissances publiques, mais sous le contrôle renforcé de l'administration (l'Etat). Ainsi, le Crédit foncier s'est vu chargé par l'Etat en vertu de la convention signée le 5 mai 1958 d'une mission de Service public. Les stipulations contractuelles indiquent en effet un fort contrôle opéré sur lui par l'Etat. Lorsque notamment il n'avait aucune marge de manœuvre relative à la gestion de cette mission, l'Etat gérant directement les fonds. Ce contrôle renforcé ressort clairement du mandat implicite dégagé par le juge. [...]
[...] L'article 1984 du Code civil dispose que le mandat ou procuration est un acte par lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et en son nom. Le contrat ne se forme que sur l'acceptation du mandataire. Le mandat est en principe un acte (ou contrat) écrit et explicite. Cette caractéristique l'oppose notamment à la théorie du mandat implicite déduite des faits par le juge, mais qui au fond reste liée à la lettre de l'article 1984 du Code civil. Il s'agit ici d'une exception au principe. Le juge administratif admet qu'un contrat conclu entre deux personnes privées peut revêtir un caractère administratif. [...]
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