CE, Assemblée, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge. Arrêt dit "lancer de nains"

Extraits

[...] 131-2 du code des communes est bien, pour le Conseil d'Etat, le fondement qu'il fallait donner à cet arrêté d'interdiction mais il soulève une question. En effet, aux termes de cet article, la police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique et les dispositions applicables aux spectacles précisent qu'elle doit assurer le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes ce qui est généralement entendu comme visant à garantir la sécurité publique et à prévenir d'éventuels troubles matériels à l'ordre public. [...]

[...] En effet, jusqu'à cette date, la doctrine avait toujours considéré que la dignité de la personne humaine n'appartenait pas à l'ordre public ; pour Hauriou, la police n'essaie point d'atteindre les causes profondes du Mal social. ( ) En d'autres termes, elle ne poursuit pas l'ordre moral dans les idées, si elle essayait, elle verserait dans l'oppression des consciences. Ainsi, même si, comme on l'a vu auparavant, le dépassement des circonstances locales particulières peut se justifier, il remet tout de même en cause la notion de trouble psychologique introduite par la jurisprudence Lutécia qui permettait de mesurer la subjectivité d'une population dans sa réception d'un spectacle. [...]

[...] Les enjeux de cette nouvelle jurisprudence L'arrêt Commune de Morsang-sur-Orge du Conseil d'Etat est d'une importance première en ce qui concerne les missions de la police administrative mais elle soulève également de nombreuses questions au sujet de la protection des individus dans la société contemporaine. A. Les missions de la police administrative Comme nous l'avons vu plus haut, cet arrêt ajoute à la définition de l'ordre public un élément nouveau. La protection de la dignité de la personne humaine devient donc une des missions de le police administrative et son rôle sera surtout de prévenir une éventuelle atteinte à cette dignité comme l'indique l'emploi à deux reprises de ce verbe dans le texte de l'arrêt. [...]

[...] Ainsi, pour le juge, le seul motif pouvant justifier cette interdiction serait donc l'atteinte à la dignité de la personne humaine. Il convient donc à présent de s'interroger sur les fondements de l'appartenance du principe de respect de la dignité de la personne humaine à la notion d'ordre public et sur l'atteinte à cette dignité comme motif d'une mesure de police. B. Le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l'ordre public Pour le Conseil d'Etat, et contrairement au jugement du tribunal administratif de Versailles, l'atteinte à la dignité de la personne humaine est, dans le cas du lancer de nain, évidente et cette considération, qui malgré tout dépend de l'intime conviction de chacun (M. [...]

[...] Tout au moins, il semblerait que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, en permettant de renoncer à un des droits de la Convention, laisse une porte ouverte à la liberté que l'utilisation du principe de dignité de la personne humaine ne permet pas. En effet, la dignité de la personne humaine ne s'inscrit pas dans la même lignée que les droits de l'homme car elle vise à protéger ce qu'il y a de commun dans tous les hommes, c'est-à-dire la nature, et non à leur accorder des droits en tant qu'individu ; elle n'est pas le droit de l'individu mais le droit de la qualité humaine de chaque individu. [...]