Lorsque l'on aborde l'une des manifestations de l'ordre intérieur, que sont les mesures d'ordre intérieur, au sens des décisions individuelles « de faibles importances », dont le juge refuse de connaître, la prison devient le cadre caractéristique de ces mesures qui visent le détenu sans que celui-ci puisse en contester la légalité. Nécessaire au fonctionnement régulier et quotidien d'un service, l'ordre intérieur traduit un phénomène juridique spontané qui donne à une autorité le pouvoir d'agir dans l'intérêt d'un service. Le refus traditionnel du juge d'examiner l'ordre intérieur carcéral est significatif de la difficulté d'appréhender de manière uniforme le fonctionnement d'une prison. Cependant, les évolutions jurisprudentielles témoignent des avancées de la légalité à l'intérieure du service public pénitentiaire, et l'arrêt Marie, représente un arrêt de principe en la matière.
En effet, incarcéré à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis et voulant dénoncer le mauvais fonctionnement du service médical, M. Marie écrit une lettre, en date du 4 juin 1987, au chef du service de l'inspection générale des affaires sociales. Suite à cette lettre, le directeur de la maison d'arrêt inflige une sanction de mise en cellule de punition pour une durée de 8 jours avec sursis à M. Marie. Il introduit un recours hiérarchique, mais subit un premier rejet par le directeur régional des services pénitentiaires. Face à ce rejet, il introduit un recours en annulation, mais subit alors un second rejet par le tribunal administratif de Versailles en date du 29 février 1988. M. Marie saisit alors, le Conseil d'Etat. Celui décide que eu égard à la nature et à la gravité de la punition, celle-ci constitue une décision faisant grief susceptible d'être déférée au juge de l'excès de pouvoir.
Le problème se posait alors au juge de déterminer si la sanction de mise en cellule de punition, constituait une mesure d'ordre intérieur, et de ce fait, pouvait faire partie des actes insusceptibles de recours devant les juridictions administratives.
Il s'agit en effet ici, d'examiner la notion d'actes unilatéraux non exécutoires qui ne sont susceptibles d'aucun recours ce qui pose le problème de la recevabilité de l'action de M. Marie et du traitement de sa demande, mais qui présentent tout de même une atténuation dans leurs portées lorsqu'ils portent atteintes aux libertés et au statut sa la personne, mais également d'observer quel est l'impacte de cet arrêt, qui est à l'origine d'un revirement jurisprudentiel important, du fait qu'une mesure d'ordre intérieur est considérée comme faisant grief. En effet, en vertu d'une jurisprudence ancienne et réaffirmée encore peu de temps auparavant, CE 27 janvier 1984, arrêt Caillol, le Conseil d'État considérait que les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre des détenus et des militaires constituaient des mesures d'ordre intérieur qui ne pouvaient être discutées devant le juge administratif. Cette jurisprudence se fondait à la fois sur le souci du juge de ne pas fragiliser l'autorité nécessaire au respect de la discipline dans les institutions en cause et sur le caractère souvent bénin des sanctions infligées. Elle était toutefois contestée car elle écartait toute possibilité de recours, même dans le cas de sanctions particulièrement lourdes.
« Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier et qu'il n'est du reste pas allégué, que cette réclamation, à la supposer injustifiée, ait fait suite à de précédentes plaintes ayant fait l'objet de décisions de rejet ; que si le Garde des Sceaux, ministre de la justice soutient que cette réclamation comportait des imputations calomnieuses, un tel grief ne figure pars dans les motifs de la décision attaquée et qu'au surplus, si la lette de M. Marie énonce des critiques dans des termes peu mesurés, elle ne contient ni outrage, ni menace, ni imputation pouvant être qualifiées de calomnieux : que, dès lors, en prenant la décision attaquées, le directeur de la maison d'arrêt dont la décision a été implicitement confirmée par le directeur régional des services pénitentiaires, s'est fondé sur des faits qui ne sont pas de nature à justifier une sanction, que par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. Marie est fondé à demander l'annulation de ces décisions ».
Ainsi sera abordé, le fait que ce refus du juge, qui se traduit par l'irrecevabilité des recours exercés contre les mesures d'ordre intérieur est difficilement acceptable, sauf à admettre que la prison et les détenus restent hors de l'Etat de droit. Cependant, cette solution contentieuse qui prive le détenu de la garantie de légalité de l'action administrative tend à être remise en cause et sa traduit par un revirement jurisprudentiel.
[...] Le revirement de jurisprudence provient donc du fait que cette mesure ne peut être considérée comme une mesure d'ordre intérieur du fait de la gravité de la sanction. Ainsi, au travers de ce raisonnement, la jurisprudence a pu évoluée et notamment à travers certains arguments. Les circonstances préjudiciables encourues par M. Marie du fait de cette sanction, notamment la punition de mise en cellule, mais également les retombées sur son crédit de réduction de peine, constituent une mesure qui doit être soumise au juge du fait de sa gravité, le contrôle juridictionnel devient alors le meilleur moyen de protéger l'individu concerné par de telles sanctions B. [...]
[...] En effet, selon l'article D262 du Code de procédure pénale, les détenus peuvent à tout moment, adresser des lettres aux autorités administratives et judiciaires françaises. Les détenus qui mettraient à profit la faculté qui leur est ainsi accordée soit pour formuler des outrages, des menaces ou des imputations calomnieuses, soit pour multiplier des réclamations injustifiées ayant déjà fait l'objet d'une décision de rejet encourent une sanction disciplinaire, sans préjudice de sanction pénale éventuelle Son recours hiérarchique a été refusé, car, il a été considéré que la lettre dont il était à l'origine constituait une réclamation injustifiée. [...]
[...] Par cette décision, le Conseil d'État n'a toutefois pas entendu abandonner entièrement la notion de mesure d'ordre intérieur. Celle-ci continue de s'appliquer à certaines mesures qui ne présentent pas de caractère disciplinaire et demeure pertinente, en matière disciplinaire, pour les sanctions les moins graves. L'Assemblée du contentieux n'a en effet admis de connaître des sanctions prises à l'encontre des détenus que si elles emportaient, "eu égard à leur nature et à leur gravité", des effets sensibles sur la situation des intéressés. [...]
[...] Ce sont donc des mesures touchant à la vie du service. En l'espèce il s'agit d'une mesure disciplinaire prise dans un établissement pénitencier. En effet, certains actes unilatéraux adoptés par l'administration sont considérés comme insignifiant de ce fait un recours n'est envisageable, de plus il est inutile. Ceci répond à l'adage De minimis non curat praetor : le prêteur ne s'occupe pas des petites affaires, ne comportant en fait, que des effets insignifiants pour les intéressés, une mesure d'ordre intérieur saurait donc faire l'objet d'une contestation devant le juge de l'excès de pouvoir. [...]
[...] Le Conseil d'État a compris ces exigences, et tend à revenir sur d'anciens arrêts plus favorables à la reconnaissance des actes administratifs unilatéraux non décisoires. Par exemple, les punitions militaires prises conformément au règlement de discipline, qui ne correspondent pas à des sanctions prévues par les statuts, sont considérées par le juge comme des mesures d'ordre intérieur ne faisant pas grief dans un arrêt du CE 11 juillet 1947, arrêt Dewarin. Néanmoins, le juge revient sur sa position dans un arrêt d'assemblée du 17 février 1995 : arrêt Hardouin, eu égard des conséquences de la punition sur la liberté d'aller et venir du militaire, et sur son avancement ou le renouvellement de son contrat. [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture