L'arrêt du Conseil d'Etat en date du 22 octobre 1971 s'inscrit dans une série d'arrêts rendus en 1971 relativement à la réparation des dommages causés par l'inondation consécutive à la rupture le 2 décembre 1959 du barrage de Malpasset, propriété du département du Var.
Au nombre des victimes figurait la ville de Fréjus, qui avait saisi le tribunal administratif de Nice pour obtenir la condamnation du département du Var et de l'Etat, à la réparation des dommages qu'elle avait subis. Le tribunal ayant rejeté sa demande, la ville de Fréjus demande au Conseil d'Etat l'annulation de ce jugement.
Dans le présent arrêt, il n'était pas contesté que les dommages subis par la ville de Fréjus l'avaient été du fait de la rupture du barrage : le lien de causalité était établi entre le dommage et l'ouvrage public. Or, en cas de dommages causés par un ouvrage public, le fondement de la responsabilité de la personne publique diffère selon que la victime est un usager de l'ouvrage public ou un tiers par rapport à cet ouvrage. La question fondamentale de cet arrêt était la détermination de la qualité de la ville de Fréjus par rapport au barrage qui a causé les dommages dont elle veut obtenir réparation.
Le Conseil d'Etat va apporter une réponse nuancée puisqu'il affirme qu'une même victime peut être simultanément tiers et usager de l'ouvrage, selon la nature des dommages dont elle se plaint (I). De cette double qualité découle l'application de deux régimes de responsabilité différents, ce qui conduit à retenir l'indemnisation de certains dommages seulement (II).
[...] En effet la responsabilité sans faute repose uniquement sur l'existence d'un lien de causalité entre le préjudice et la personne publique : il est donc logique que la responsabilité de cette dernière ne soit pas retenue si le lien de causalité est partiellement ou totalement rompu, soit par ce que le dommage est en fait causé pour tout ou en partie par la faute de la victime, soit parce qu'il résulte d'une cause étrangère à la personne publique, c'est-à-dire d'un évènement imprévisible dans sa survenance, irrésistible dans ses effets et extérieur à la personne publique. [...]
[...] Les termes de l'arrêt, qui se borne à relever qu'aucune faute ne peut être relevée à la charge du département du Var et de l'Etat ne permettent pas de savoir sur qui pèse la charge de la preuve. A l'inverse pour ce qui est de la responsabilité du département du Var du fait de la surveillance de l'ouvrage public, il ressort clairement de l'arrêt qu'il pèse sur le maître de l'ouvrage une présomption de faute, liée à un défaut d'entretien normal de l'ouvrage : l'usager victime d'un dommage résultant d'un ouvrage public ne peut voir la responsabilité de la personne publique engagée que si cette dernière a commis une faute, mais il bénéficie d'une présomption qui pèse sur la personne publique, à charge pour elle de prouver que le dommage n'est pas dû à une faute consistant en un défaut d'entretien de l'ouvrage. [...]
[...] Il en résulte, en vertu d'une jurisprudence bien établie, que la responsabilité est susceptible de reposer sur deux fondements différents. Le Conseil d'Etat réaffirme dans un considérant de principe la règle, qu'il a lui-même dégagé à partir des années cinquante sect novembre1952, Grau), d'une responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage au profit des tiers victimes de dommages liés à des ouvrages publics. Ce régime est très protecteur pour les victimes, qui n'ont qu'à rapporter la preuve d'un lien de causalité entre leur dommage et l'ouvrage public, pour être indemnisées, sauf à ce que le maître de l'ouvrage prouve que le dommage résulte de la faute de la victime ou d'un cas de force majeure. [...]
[...] La question de la détermination de la qualité de la victime est fort délicate, et en outre cruciale au vu de la différence des conditions de mise en jeu de la responsabilité qui en découle. Dans le présent arrêt, le Conseil d'Etat pose dans un considérant de principe que les deux qualités, celle de tiers et celle d'usager, ne sont pas mutuellement exclusives, alors même qu'elles concernent la même victime par rapport au même ouvrage public. Cette solution peut paraître étonnante, mais elle s'explique par le critère retenu par le Conseil d'Etat pour contrôler la qualification de tiers ou d'usager par rapport à l'ouvrage public. [...]
[...] II/ La dualité du régime de la responsabilité Selon le fondement de la responsabilité- de plein droit ou pour faute prouvée- le régime applicable, i.e. les conditions de mise en jeu de la responsabilité diffèrent. Si l'exigence d'un dommage causé par un fait de la personne publique est requise dans tous les cas, ce fait doit cependant être fautif dans la responsabilité pour faute, alors que la seule existence du lien de causalité suffit dans la responsabilité de plein droit pour engager la responsabilité de la personne publique. [...]
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