On ne peut guère parler d'ordre public sans évoquer la polémique qui subsiste depuis des années quant à la place à accorder à la protection de la moralité publique. Le présent arrêt précise quelque peu la position du juge administratif sur ce point :
La commune d'Arcueil, par un arrêté du 14 Mai 1990, fait interdire l'affichage de publicités en faveur de « messageries roses ».
Le service annonceur chargé de l'affichage des publicités saisi le TA de Paris, lequel, par un jugement en date du 14 Avril 1995, fait annuler l'arrêté. La commune demanderesse saisi le CE afin de faire annuler le jugement.
La commune demanderesse désire faire annuler le jugement en raison du caractère immoral desdites publicités, ainsi que de l'atteinte qu'elles porteraient à la dignité humaine. La motivation implicite du demandeur est de faire valoir l'atteinte portée, par l'affichage de publicités immorales et probablement tendancieuses (étant donné la nature du service qu'elles tendent à promouvoir), à la moralité publique, aux bonnes mœurs, et, d'une façon plus générale, au « bon ordre » de la société, selon les termes de l'article L.2212-2 du Code général des Collectivités Territoriales.
Dès lors, un problème de droit se pose : le caractère immoral d'une publicité suffit il à en interdire l'affichage, dès lors que celui-ci n'est pas susceptible de provoquer des troubles matériels sérieux, critère matériel de l'atteinte à l'ordre public ? De plus, doit-on protéger la moralité publique au détriment de la liberté de commerce ?
[...] Hauriou dans l'interprétation qu'il donne de l'article L.2212-2 du Code général des Collectivités Territoriales (lequel dispose que la mission de la police administrative consiste à assurer le bon ordre, la tranquillité, la sécurité, et la salubrité publique la mission de la police administrative est limitée. Ce caractère restrictif implique de bien définir les éléments rentrant dans cette mission afin d'en apprécier toute la portée, et par là toutes les possibilités d'action. La formulation de l'article précité permet de donner une signification extensive à l'idée d'ordre public : en effet, le terme bon ordre demeure fort vague, et ne se limite vraisemblablement pas à la rue. On peut l'étendre à l'ensemble des manifestations de pensée. [...]
[...] Le refus du juge administratif de radicaliser la tendance jurisprudentielle Intégrer totalement la moralité publique à la mission de protection de la sécurité et de la tranquillité publique, dévolue à la police administrative, bien que profitable à première vue, soulève des problèmes de taille. Cette opération revient nécessairement à fixer les bonnes mœurs comme référence. Or il s'agit l'un d'un critère par excellence subjectif, profondément en rapport avec le lieu et l'époque de la décision. L'évolution des mœurs est trop fluctuante, rapide, et inégale pour se doter d'un droit en adéquation constante avec la réalité sociologique (voire, par exemple, l'évolution de l'image de la femme dans la publicité). [...]
[...] En l'absence de risque de troubles matériels et d'atteinte à la dignité de la personne humaine, l'affichage ne présente pas, malgré son caractère immoral, d'atteinte à l'ordre public. Dès lors, on ne peut fonder une interdiction de publicité. Pour répondre aux interrogations soulevées et comprendre la position du Conseil d'État, il convient de se pencher sur les contours de la notion de moralité publique avant de voir comment est ici réaffirmée la primauté du critère matériel dans la caractérisation de l'atteinte à l'ordre public (II). [...]
[...] En effet, dans cette affaire, la solution choisie ne fut pas une problématique interdiction, mais une restriction de vente aux mineurs de moins de 18 ans. Un compromis intéressant en ce qu'il permet de ne pas faire le plateau en faveur de l'une des deux notions mises en balance : liberté de commerce et moralité publique se trouvent ainsi respectées. [...]
[...] Il est et reste le critère de référence, comme le réaffirme ici le juge administratif, ce qui s'explique par l'aspect inconditionnel de sa nature objective. Le fragile équilibre entre liberté de commerce et moralité publique Au-delà de la question du choix du critère permettant de caractériser l'atteinte portée à l'ordre public, se pose un dilemme de fond : la moralité publique a-t-elle une telle valeur qu'on ait à lui sacrifier des libertés individuelles garanties par la Constitution ? En l'espèce, si le Conseil d'État avait donné suite à la demande de la commune d'Arcueil, cela aurait signifié son désir de poser la moralité publique comme limite à la liberté de commerce, laquelle comprend le droit à la publicité tant que celle-ci n'est pas mensongère, ou ne fait pas montre de concurrence déloyale. [...]
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