L'arrêt de la cour administrative d'appel du 21 décembre 2004 « Association Droit au logement Paris et environs » annule la décision de fins de non-recevoir du préfet de police de Paris, opposée à cette association en ce qu'elle n'aurait ni qualité ni intérêt à agir pour demander l'annulation de la note du préfet du 8 janvier 2003.
La jurisprudence Duvignères de 2002 pose ainsi le principe selon lequel des circulaires ayant un caractère impératif pouvaient faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Et concernant l'intérêt à agir, le préfet visait dans cette note la catégorie de personnes précisément défendues par l'association : les sans abris.
Cependant le juge donne raison au préfet sur le plan de la légalité de sa note.
Cette dernière visait, dans le cadre du plan « grands froids », la prise en charge des individus sans domicile et à permettre l'exécution de mesures de police en cas d'absence de consentement, afin de les placer en centre d'accueil provisoire. La cour administrative d'appel a ainsi jugé que de telles mesures entraient dans le champ de l'autorité du préfet de police en matière de prévention des accidents et fléaux, d'assistance et de secours en situation d'urgence.
A ce titre, cet arrêt est une illustration de l'utilisation du principe d'ordre public, servant au juge de levier pour autoriser des mesures privatives de la liberté d'aller et venir, ceci bien que les personnes ne mettent aucunement en danger la vie d'autrui, mais uniquement la leur. Cette nouvelle occurrence jurisprudentielle de la protection de la personne malgré elle pose d'ailleurs une question de droit particulièrement délicate.
En effet la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen définit la liberté comme « consistant à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui », dans son article 4. Et un individu sans domicile fixe ne nuit en aucune manière à autrui en s'exposant seul au froid.
Pourtant, le juge estime dans cet arrêt que le préfet fait bonne application de son autorité de police en portant atteinte à leur liberté d'aller et venir. L'exigence d'ordre public inclurait ainsi la protection des individus contre eux-mêmes.
En ceci, la cour administrative d'appel de Paris se situe dans une logique semblable à celle qui domine dans des jurisprudences récentes, justifiées au nom de cet ordre public de protection de la personne contre elle-même. On retrouve par exemple cette notion dans le domaine de la santé avec la possibilité pour un médecin de passer outre un refus de soin (Senanayaké, 2001, Conseil d'Etat assemblée) ou dans le domaine de la sécurité des mineurs contre eux-même, avec l'arrêt Préfet du Loiret du Conseil d'Etat de 2001, justifiant le couvre-feu.
La décision du juge reste donc fondée sur un critère d'ordre public qui, s'il modère la liberté individuelle, respecte les règles d'un caractère préventif et proportionnel de la mesure, selon l'exigence posée à la base par la jurisprudence Benjamin de 1933. Mais l'introduction du principe de protection de la personne malgré elle, au sein de cette notion d'ordre public, n'est pas neutre sur le plan du droit et du respect des libertés. Dans la mesure où il s'agit d'un principe qu'on peut interpréter très variablement, et surtout en fonction de l'opportunité politique du moment.
[...] La décision du juge reste donc fondée sur un critère d'ordre public qui, s'il modère la liberté individuelle, respecte les règles d'un caractère préventif et proportionnel de la mesure, selon l'exigence posée à la base par la jurisprudence Benjamin de 1933. Mais l'introduction du principe de protection de la personne malgré elle, au sein de cette notion d'ordre public, n'est pas neutre sur le plan du droit et du respect des libertés. Dans la mesure où il s'agit d'un principe qu'on peut interpréter très variablement, et surtout en fonction de l'opportunité politique du moment. L'exigence d'ordre public et de protection de la personne justifie ainsi des mesures préventives et adaptées. [...]
[...] Le respect de la proportionnalité de ces mesures à la situation Contrôle maximal du juge en ce qu'il soumet la note du préfet à un contrôle de proportionnalité. En l'occurrence, l'exigence est respectée : personnes déjà mortes de froid, froid particulièrement rigoureux A ce titre, on semble rester dans cet arrêt dans une conception traditionnelle de la mesure de police et de son contrôle par le juge Cependant, on verra que l'introduction du principe de protection de la personne malgré elle, admis au sein de l'ordre public, n'est pas neutre sur le plan du droit et du respect des libertés. [...]
[...] CAA de Paris, 21/12/2004, Association Droit au logement Paris et environs L'arrêt de la cour administrative d'appel du 21 décembre 2004 Association Droit au logement Paris et environs annule la décision de fins de non-recevoir du préfet de police de Paris, opposée à cette association en ce qu'elle n'aurait ni qualité ni intérêt à agir pour demander l'annulation de la note du préfet du 8 janvier 2003. La jurisprudence Duvignères de 2002 pose ainsi le principe selon lequel des circulaires ayant un caractère impératif pouvaient faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. [...]
[...] Justification juridique ou expression d'un moralisme plus politique ? Face à cela, la protection de la personne malgré elle a aussi fait l'objet d'une redéfinition en matière de droit de la santé, qui remet en cause la façon dont elle est interprétée dans cet arrêt : TA d'Orléans : la dignité de la personne (en fin de vie) va dans le sens non de passer outre le non-consentement à un traitement par le patient mais dans le respect de sa décision personnelle de se laisser mourir On a ici deux conceptions qui s'affrontent autour de cette notion de protection de la personne malgré elle : vision kantienne du droit (Morsang Orge, le présent arrêt) face à une conception plus libérale et plus respectueuse (en avance de la volonté de chacun (TA d'Orléans, 2006) : Le caractère opportun et politique de l'acceptation de la restriction à la liberté d'aller et venir Le juge invoque la protection des personnes, quitte à restreindre leur liberté d'aller et venir pourtant constitutionnellement affirmée, tandis que les conditions réelles de replacement de ces sans abris sont souvent insalubres ou dangereuses : n'est-ce pas paradoxalement là une atteinte à leur dignité personnelle précisément ? [...]
[...] En cela, la logique du juge s'inscrit dans la continuité de la jurisprudence initiée par l'arrêt Benjamin de 1933 : caractère préventif des mesures prises et proportionnalité. Le caractère préventif des mesures prévues par la note du préfet Logique semblable à l'arrêt Préfet du Loiret de 98 : les mesures de police présentent un caractère préventif. L'arrêt vise en ce sens à la protection de la personne qui, s'agissant d'un sans domicile fixe, est particulièrement vulnérable. S'inscrit dès lors dans l'exécution normale de la prévention des accidents et fléaux et de secours et assistance en situation d'urgence art. [...]
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