Le recours pour excès de pouvoir (REP) est un recours par lequel on demande au juge d'annuler un acte administratif qu'on accuse d'être illégal. Il n'est en principe recevable que si l'acte contre lequel il est dirigé est un acte administratif unilatéral. Cela signifie notamment que les REP formés contre une mesure d'ordre intérieur, un acte préparatoire, un acte confirmatif ou un contrat administratif sont irrecevables.
Le cas des contrats administratifs est cependant plus subtil qu'on pourrait le penser. La jurisprudence réaffirme certes avec constance l'irrecevabilité des REP formés à leur encontre comme dans l'arrêt Compagnie luxembourgeois de télédiffusion rendu par le Conseil d'État le 16 avril 1986, mais elle est consciente des difficultés que cela engendre pour les tiers lésés par un contrat administratif, lesquels ne peuvent pas non plus l'attaquer par le recours de plein contentieux qui est réservé aux parties contractantes. Elle a donc voulu ouvrir dans certains cas la possibilité pour les tiers de former un REP « indirectement contre le contrat » comme dans l'arrêt Cayzeele rendu par le Conseil d'Etat le 10 juillet 1996.
En l'espèce, le syndicat intercommunal à vocation multiple (SIVOM) du canton de Boëge avait conclu un contrat avec la société Chablais-service-propreté, pour la collecte et l'évacuation des ordures ménagères, le 1er janvier 1986 et renouvelé le 7 mai 1987. L'article 7 alinéa 2 de ce contrat de délégation de service public prévoyait que les ordures ménagères seraient déposées dans des sacs plastiques et imposait aux collectivités, colonies, restaurants, etc de faire l'acquisition de conteneurs en rapport avec leur volume de déchets afin d'éviter un deuxième ramassage de la société. Cet article atteignait directement M. Cayzeele, copropriétaire d'un immeuble. Celui-ci intenta alors un recours en excès de pouvoir contre les dispositions de cet article en invoquant une rupture d'égalité entre les usagers du service public de collecte des ordures ménagères.
Le Tribunal administratif de Grenoble, dans son jugement du 17 avril 1992 rejette sa demande, l'estimant irrecevable conformément à la jurisprudence traditionnelle : irrecevabilité du REP formé contre un contrat administratif. M. Cayzeele fait alors appel de ce jugement devant le Conseil d'Etat.
Il est donc question de savoir si le REP formé par un tiers contre des clauses réglementaires d'un contrat administratif est recevable ? (et si oui, la clause contestée est-elle légale?)
Le Conseil d'Etat opère ici un véritable revirement de jurisprudence suivant ainsi la recommandation de son commissaire du gouvernement, M. Sanson. Il admet, après avoir examiné l'intérêt à agir du requérant et la question du délai de recours, la recevabilité du REP d'un tiers contre une clause réglementaire d'un contrat. En effet, les dispositions en question ont une nature réglementaire par leurs effets et leur objet et peuvent donc être « attaquées » par un tiers qui justifie d'un intérêt suffisant pour agir. Mais sur le fond, il a admis le bien-fondé des dites clauses qui ne méconnaissaient nullement le principe d'égalité des usagers du service public et a donc rejeté la requête de M.Cazeeyle.
[...] Dans cet arrêt, le juge administratif a examiné les deux principales conditions de recevabilité du REP : le respect des délais de recours et l'intérêt à agir du requérant comme il le fait habituellement. L'intérêt à agir résulte d'une construction jurisprudentielle. Il est la mesure de la lésion supportée par le requérant du fait d'un acte administratif. Il a l'acte illégal pour fait générateur. Le requérant a intérêt à l'action et à son résultat : l'annulation de l'acte. Cette annulation doit avoir pour effet de supprimer les conséquences qu'entraine pour lui l'application de l'acte. En l'occurrence, M. [...]
[...] Dans son contrôle de la légalité, le Conseil d'Etat commence par examiner la conformité de l'article 7 du contrat aux textes. C'est là une démarche classique du juge dont le rôle est de vérifier qu'un règlement particulier ne contredit pas un règlement plus général ou une loi. En l'espèce, il note qu'aucun texte aucune disposition législative ou réglementaire n'interdit d'imposer aux immeubles collectifs l'acquisition de conteneurs en rapport avec leur volume de déchets L'article7, contesté par M.Cayzeele ne viole donc aucun texte écrit. [...]
[...] C'est l'arrêt Syndicat des propriétaires et contribuables du quartier Croix-de-Seguey-Tivoli rendu par le Conseil d'Etat le 21 décembre 1906 qui a permis cette évolution. En l'espèce une compagnie des tramways électriques avait décidé la suppression de la desserte du quartier de Croix de Seguey-Tivoli. Les habitants du quartier, groupés en un syndicat de propriétaires et de contribuables demandèrent au préfet de mettre la compagnie en demeure d'exécuter le service dans les conditions prescrites par le cahier des charges de la concession. [...]
[...] Une condition qui peut paraître particulière pour la recevabilité de ce recours est celle de la divisibilité des clauses des délégations de service public mais nous l'avons vu auparavant. Toutes les conditions sont remplies en l'espèce. Puisque le REP est recevable, le Conseil d'Etat peut se pencher sur le fond de la requête. Le cas d'ouverture du recours pour excès de pouvoir : la prétendue rupture d'égalité entre les usagers du service public. Les cas d'ouvertures sont les moyens qui peuvent être invoqués pour obtenir l'annulation de l'acte. En l'espèce, M.Cayzeele conteste le fait que l'article 7 impose une différence de traitement entre les particuliers et les collectivités. [...]
[...] En l'espèce, le juge estime que le contrat liant l'administration à un de ses agents contractuels place ce dernier dans une situation proche de celle des fonctionnaires, c'est-à-dire dans une situation réglementaire Dans ce contexte, le contrat est assimilable à un acte unilatéral et peut donc faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Enfin, par son arrêt Société Tropic Travaux Signalisation du 16 juillet 2007, l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a innové en instituant un nouveau recours au bénéfice de certains tiers au contrat. Il admet que tout concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité de ce contrat ou de certaines de ses clauses, qui en sont divisibles. [...]
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