« Alors que se développe en Europe, comme nous l'avons vu, un mouvement général de coopération judiciaire entre les cours suprêmes nationales et la Cour de justice des Communautés européennes, il serait en outre hasardeux de faire, sur ce point, cavalier seul » . Cette prise de position de Mattias Guyomar, commissaire du gouvernement, dévoile l'orientation générale au sein de laquelle l'Assemblée du contentieux du Conseil d'Etat a rendu ses décisions.
Le 8 février 2007, deux arrêts ont été rendus dans la formation la plus solennelle du Conseil d'Etat. Cette convergence n'est pas due au hasard, elle est délibérée car ces deux arrêts ont donné lieu à des apports très importants notamment sur la coopération judiciaire entre les Cours Suprêmes nationales françaises et la Cour de justice des Communautés européennes. De plus, l'arrêt Société Arcelor atlantique et lorraine et autres et l'arrêt Gardedieu , ont donné lieu à un communiqué de presse assorti d'une couverture médiatique importante comme en témoigne l'édition du Monde du 9 février. Ces deux arrêts vont dans le sens d'un respect de plus en plus grand vis-à-vis du droit international notamment communautaire. Ils ont respectivement pour objet l'étendue du contrôle qu'exerce le juge administratif sur les actes réglementaires de transposition des directives, et la responsabilité de l'Etat du fait du non respect de ses engagements européens et internationaux par le législateur.
En l'espèce, le contentieux portait sur la question environnementale de l'établissement d'un système d'échange de quota d'émission de gaz à effet de serre. C'est la directive communautaire 2003/87/CE du 13 octobre 2003 prise par le Parlement européen et le Conseil qui établit ce système d'échange au sein de la Communauté européenne. L'ordonnance du 15 avril 2004 procède à la transposition de cette directive dans le code de l'environnement français qui lui même renvoie à un décret qui en fixera les modalités d'application.
En l'occurrence, les requérants ont demandé l'abrogation de l'article 1er du décret 2004-832 du 19 août 2004, qui rend applicable la directive du 13 octobre 2003 aux installations sidérurgiques, au Président de la République, au Premier ministre, au ministre de l'Ecologie et du Développement durable et au ministre délégué à l'Industrie. Le contentieux porte sur la demande d'Arcelor et autres au Conseil d'Etat d'annuler les décisions implicites de refus, nées du silence de ces autorités, et d'enjoindre à l'Administration d'abroger les articles contestés du décret ainsi qu'un dédommagement financier. Les moyens qu'invoquent les requérants portent essentiellement sur la violation des principes constitutionnels notamment celui d'égalité, le droit de propriété et la liberté d'entreprendre.
Les requérants en contestant la légalité de certaines dispositions du décret, qui reprend à l'identique les dispositions de la directive : la liste des activités concernées par ce système d'échange de quotas dans son annexe I, déplace le débat contentieux sur la directive elle-même. Le Conseil d'Etat a décidé de saisir par renvoi préjudiciel la Cour de justice des Communautés européennes pour savoir si la directive porte atteinte au principe d'égalité - principe qu'il a retenu - car il a un doute sérieux sur la validité de la directive, avant de statuer.
Comment le Conseil d'Etat avec cet arrêt propose-t-il un aménagement, qui ouvre une nouvelle perspective, au difficile problème de la conciliation entre l'ordre juridique interne français, fondé sur la suprématie de la Constitution, et la primauté du droit communautaire dans le but de renforcer le dialogue des juges et de rapprocher la France des exigences communautaires, sans toutefois les respecter complètement ?
Dans un premier temps, le sujet abordé sera la voie du Conseil d'Etat dans l'ordre juridique interne français qui s'inscrit notamment dans un paysage jurisprudentiel varié ; la formulation d'une conception originale des rapports entre droits sera traitée dans un second temps.
[...] Toutefois, il est important de souligner que l'alternative retenue par le Conseil d'État, qui s'éloigne de celle du Conseil Constitutionnel, est novatrice. L'alternative posée est la suivante : soit les principes constitutionnels dont la violation est soulevée ont une équivalence communautaire et le contrôle sera un contrôle de conventionnalité ; soit ces principes n'ont pas d'équivalence et le contrôle sera un contrôle de constitutionnalité. Ce système de contrôle de la légalité à travers la recherche d'équivalence de protection qu'exerce le Conseil d'État nécessite un requérant. [...]
[...] L'arrivée au Conseil d'État d'un nouveau vice-président, M. Jean-Marc Sauvé, qui est en faveur d'une convergence des justices européennes n'est pas étrangère à ce qu'un tel arrêt soit voté par le Conseil d'État L'arrêt Arcelor : un cas concret de recours à de nouvelles modalités de contrôle Les sociétés requérantes ont soutenu devant le Conseil d'État que le présent décret comportait une erreur manifeste puisqu'il y intégrait dans son champ d'appréciation des industries sidérurgiques et non les industries plastiques et d'aluminium alors que celles-ci émettaient la même pollution. [...]
[...] Alors, le Conseil d'État va reporter translation selon l'expression de M.Guyomar) le principe constitutionnel d'égalité à son équivalent en droit communautaire. Ce sera à la Cour de justice des Communautés européennes de dire au regard du moyen invoqué par les requérants si l'effectivité du respect du principe constitutionnel est remise en cause ou pas, ce qui revient à savoir si la directive est conforme ou non au droit communautaire. Suite à la recherche d'équivalence de protection effective, il en résulte l'opération de translation. [...]
[...] Le Conseil d'État a donc été amené à réfléchir sur de nouvelles modalités de contrôle. Pour recourir à ces nouvelles modalités, le Conseil d'État a dû y donner un fondement, s'appuyant notamment sur des dispositions constitutionnelles à travers l'interprétation d'une combinaison des articles de la Constitution (55C et 88-1C) La refondation constitutionnelle de la compétence du Conseil d'État Cet arrêt du 8 février 2007 témoigne de l'importance du paysage jurisprudentiel dans lequel il s'est inséré. Comme le souligne le commissaire du gouvernement, M.Guyomar, on ne peut comprendre cet arrêt sans faire référence à la jurisprudence récente du Conseil Constitutionnel. [...]
[...] Le Conseil d'État s'inscrit, en procédant de la sorte, dans les prescriptions formulées par la Cour de justice des Communautés européennes. L'utilisation du renvoi préjudiciel est une invitation faite par l'arrêt Unión de Pequeños Agricultures[14] du 25 juillet 2002, pour que les juges nationaux n'hésitent pas à procéder à des renvois préjudiciels en appréciation de validité afin que la légalité communautaire soit au mieux respectée. Tout en s'inscrivant dans la jurisprudence récente du Conseil Constitutionnel et dans la jurisprudence européenne, le Conseil d'État donne dans cet arrêt une solution originale pour concilier les différents ordres juridiques. [...]
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