La situation délicate des personnes handicapées est aujourd'hui une préoccupation majeure, tant dans l'ordre juridique communautaire et international que dans l'ordre juridique interne. Ainsi, dans l'arrêt Laruelle du 8 avril 2009, le Conseil d'Etat a reconnu un droit à la scolarisation des handicapés : en cas d'impossibilité pour l'Etat de satisfaire à cet objectif, sa responsabilité pour faute sera engagée. La prise en compte des difficultés rencontrées par les handicapés s'observe également dans la construction de bâtiments. Ainsi, les articles L. 111-7 et L. 111-7-1 du Code de la construction et de l'habitation obligent certains employeurs à adapter leurs nouveaux locaux aux travailleurs handicapés. Dans la même mouvance, la loi du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées impose quant à elle un aménagement des parties ouvertes au public des établissements recevant du public. Cette loi transpose d'ailleurs la directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail. Cette loi va être l'élément phare de l'arrêt d'Assemblée du Conseil d'Etat du 22 octobre 2010. Dans cet arrêt important, les faits sont les suivants : Mme A., qui exerce la profession d'avocat depuis 1976 et qui est inscrite au barreau de Béthune, est victime d'un handicap moteur qui s'est aggravé à la suite d'un accident en 2001. Depuis cet accident, elle ne peut plus monter les escaliers de façon autonome et doit se déplacer régulièrement en fauteuil roulant. Elle s'estime victime d'un préjudice imputable à l'Etat qui n'aurait pas entrepris les aménagements nécessaires lui permettant un accès adapté à certaines juridictions situées dans le ressort de la Cour d'Appel de Douai, lieu où elle exerce habituellement sa profession. Elle forme alors devant le tribunal administratif de Lille une demande d'indemnités pour la réparation du préjudice subi ; mais le tribunal rejette sa demande le 5 avril 2005, estimant que l'Etat n'était pas fautif. Elle interjette alors appel de la décision devant la Cour administrative de Douai qui la déboute à son tour de sa demande le 12 avril 2006. Un pourvoi en cassation est donc formé par la justiciable devant le Conseil d'Etat qui fait partiellement droit aux prétentions de la requérante. Pour la Haute Juridiction, il s'agissait de savoir si le manque de locaux judiciaires adaptés aux handicapés permettait d'entraîner la responsabilité de l'Etat.
Un raisonnement en deux temps s'opère : le Conseil d'Etat étudie la responsabilité pour faute de l'Etat au regard de la directive (I) puis s'aventure sur le terrain de la responsabilité sans faute fondée sur la rupture de l'égalité devant les charges publiques (II) (...)
[...] Plus précisément, elle a la qualité d'auxiliaire de Justice, sur le fondement de la loi du 31 décembre 1971. Le Conseil d'Etat surmonte alors la difficulté en se adoptant une approche extensive de la directive, reprise par la loi de transposition : bien que l'Etat ne soit pas l'employeur des avocats ( ) il a l'obligation de rendre accessible aux personnes handicapées la partie ouverte au public des locaux judiciaires Par ailleurs, il faut souligner que la loi de transposition n'envisage que la partie ouverte au public ce qui est plutôt restrictif par rapport à la directive puisque cela ne va concerner, pour les établissements judiciaires, que les salles d'audience, ou encore les espaces d'accueil (les bureaux n'entreront pas dans cette catégorie). [...]
[...] Suite à cette analyse, le Conseil d'Etat décide d'indemniser Mme A. pour le seul préjudice moral subi ce qui, il faut le souligner, est une première dans la jurisprudence du Conseil d'Etat. Cette décision permet donc d'indemniser le préjudice moral subi par les auxiliaires de justice handicapés du fait de l'insuffisance d'aménagements spécifiques entrepris par l'Etat ; mais, il reste à savoir si cette décision, aussi symbolique soit-elle, dépassera le cadre de l'espèce étudié pour consacrer réellement un nouveau cas de responsabilité sans faute de l'Etat. [...]
[...] allègue alors la perte de clientèle et l'assistance d'une tierce personne pour l'aider dans sa vie quotidienne, comme constitutives d'un préjudice matériel imputable à l'Etat qui n'a pas procédé entièrement aux aménagements nécessaires. Mais le Conseil d'Etat souligne l'absence de lien de causalité direct, ce qui exclut de facto l'étude du caractère grave et spécial du préjudice subi. Ainsi, Mme A. n'est pas fondée à demander réparation du préjudice financier qu'elle invoque, pour reprendre les termes de la Haute Juridiction. Il convient dès lors d'apprécier s'il existe un préjudice moral et s'il est réparable. B. [...]
[...] La responsabilité sans faute de l'Etat engagée pour le seul préjudice moral subi Le préjudice moral doit réunir les mêmes critères précités que sont la gravité et la spécialité. En l'espèce, le Conseil d'Etat relève l'existence de cette gravité et surtout de cette spécialité, puisqu'il explique que le préjudice subi par Mme A. doit être compris au regard de la particularité intrinsèque à la fonction d'avocat qui réside, tout d'abord, dans son devoir de représentation. En effet, en tant qu'avocate, Mme A. [...]
[...] Ce faisant, on note une certaine indulgence de la part du Conseil d'Etat qui rejette la responsabilité pour faute de l'Etat législateur qui aurait fait une transposition erronée de la directive. Au contraire, pour le Conseil d'Etat, le délai n'est pas incompatible avec les dispositions de la directive Néanmoins, ce délai n'empêche pas de faire peser sur l'Etat une obligation progressive d'aménagement des parties ouvertes au public. Ainsi, le Conseil d'Etat effectue une appréciation in concreto des opérations réalisées par l'Etat et constate que l'Etat a engagé depuis plusieurs années un programme visant à mettre progressivement aux normes d'accessibilité aux personnes handicapées l'ensemble des bâtiments du patrimoine judiciaire ce qui suffit à écarter la faute de l'Etat ; a contrario, cela signifie bien qu'une inaction de l'Etat serait considérée comme fautive. [...]
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