Parmi les fonctionnaires retraités « quelques-uns meurent ; beaucoup s'adonnent à la pêche, occupation dont le vide se rapproche de leur travail dans les bureaux ». Cette description acerbe d'Honoré de Balzac (Les Petits bourgeois, 1856) tend à démontrer la tranquillité supposée de la période succédant à la carrière des fonctionnaires. Pour autant, l'auteur occulte les risques et accidents auxquels s'exposent certains agents dans l'exercice de leurs fonctions et les répercussions que ceux-ci peuvent avoir sur leur fin de vie. Il apparaît que ces répercussions n'étaient pas, jusqu'à lors, réparées de façon optimale par l'administration.
Cet arrêt rendu le 4 juillet 2003 par l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat, Moya-Caville, semble modifier l'état du droit de façon considérable. Mme Moya-Caville, agent du centre hospitalier universitaire de Montpellier, a développé dans l'exercice de ses fonctions un allergie au formol présentant le caractère d'une maladie professionnelle. Elle s'est ainsi trouvée dans l'incapacité d'exercer ses fonctions et a fait valoir ses droits à la retraite. Bénéficiant dès lors d'une pension de retraite et d'une rente viagère d'invalidité, Mme Moya-Caville va, en outre, demander la réparation des préjudices subis résultant de sa maladie professionnelle, qu'elle impute à des fautes de l'administration.
Ainsi, devant le Tribunal administratif de Montpellier, la requérante va prétendre à l'obtention d'indemnités de réparation mais aussi au traitement non perçu durant son congé de maladie. Sa demande va être rejetée sur le fondement du caractère forfaitaire de la pension de retraite et de la rente viagère d'invalidité. La Cour administrative d'appel de Marseille déboutera ensuite l'intéressée sur un fondement identique.
En conséquence, il appartient à l'assemblée du contentieux du Conseil d'Etat de déterminer si l'administration hospitalière est responsable de la maladie de Mme Moya-Caville. Dans cette hypothèse, le juge devra enjoindre la première de réparer le préjudice de la seconde. Or, percevant une pension de retraite et une rente viagère d'invalidité, la requérante ne peut, eu égard à une jurisprudence constante du Conseil d'Etat, prétendre à une indemnisation supplémentaire, les pensions de retraite et d'invalidité ayant un caractère forfaitaire. Dès lors, la victime n'a d'autre action que la demande de cette seule pension. Ainsi, un problème émerge : Le caractère forfaitaire de la pension d'invalidité s'oppose-t-il à la possibilité, pour le fonctionnaire ayant contracté une maladie dans l'exercice de ses fonctions, d'engager la responsabilité de la collectivité publique responsable ?
Le Conseil d'Etat va décider de renverser sa propre construction jurisprudentielle pour admettre la possibilité pour un fonctionnaire atteint d'une maladie professionnelle d'en demander la réparation outre l'allocation d'une rente d'invalidité. Il va cependant effectuer une dichotomie entre la réparation des dommages subis même en l'absence de faute de la part de l'administration (I) et l'indemnisation des préjudices résultant d'une faute de celle-ci (II).
[...] Ce système tend à réparer le préjudice subi, même en l'absence de faute de l'administration. Ainsi, seules les preuves du préjudice et du lien de causalité entre l'activité de l'administration et le dommage sont nécessaires pour obtenir réparation. Le juge pose donc, dans cet arrêt Moya-Caville, une réparation systématique des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d'agrément dus à l'accident, régime extrêmement favorable au fonctionnaire. La rente viagère d'invalidité sera donc nécessairement accompagnée d'une réparation de ces préjudices. [...]
[...] Le code des pensions civiles et militaires de retraite, le décret l'étendant aux fonctionnaires des collectivités territoriales (décret du 9 septembre 1965) ou le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de la guerre prévoient simplement l'octroi de pensions et rentes viagères d'invalidité pour les agents qui doivent abandonner leurs fonctions à la suite d'un accident de service. Aucune action en responsabilité n'est expressément écartée par le législateur. Néanmoins, durant un siècle d'usage fréquent, cette règle a essuyé de nombreuses critiques. [...]
[...] Enfin, cette règle conduit à des incohérences absconses. Il est effectivement plus intéressant pour un fonctionnaire de l'État d'avoir un accident sur une route départementale plutôt que sur une route nationale. Dans le premier cas, l'agent sera considéré comme usager de la voie publique, il aura donc droit à demander réparation (en plus de la pension d'invalidité due par son employeur). Dans le second cas, le dommage étant commis par la collectivité employeur de l'agent, ce dernier se verra appliquer la règle du forfait de pension et ne percevra, dès lors, que la simple pension d'invalidité (Conseil d'Etat octobre 1962, Époux Bouchon). [...]
[...] Ce fut le cas notamment à l'occasion de l'arrêt Ministre de la Défense contre Consorts Lacourcelle du 11 juillet 1983, rendu par le Conseil d'Etat. L'exclusion de l'atteinte à l'intégrité physique du régime de responsabilité sans faute Il est utile de constater que ne semblent concernés par ce régime les seuls souffrances physiques ou morales et les préjudices esthétiques ou d'agrément. Dès lors, le juge exclut purement et simplement la réparation systématique de l'atteinte à l'intégrité physique distincts de l'intégrité physique En effet, selon lui, les articles précités du code des pensions civiles et militaires de retraite déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d'un accident de service ou atteint d'une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l'atteinte qu'il a subi dans son intégrité physique Dès lors, l'atteinte à l'intégrité physique est censée être réparée par l'allocation d'une rente viagère d'invalidité calculée selon le taux d'invalidité du fonctionnaire en cause. [...]
[...] Néanmoins, cette solution ne manque-t-elle pas d'audace ? Il est intéressant de s'interroger sur l'avenir de la règle du forfait, qui, avantageuse en son temps, semble inadéquate aujourd'hui. Son principal intérêt semble résider dans la limitation du contentieux des accidents du travail. Or, selon les statistiques procurées par le commissaire du gouvernement D. Chauvaux dans ses conclusions sous l'arrêt, il apparaît finalement assez peu de litiges (100 à 150 par an). S'il est à craindre un effet d'aubaine, la surcharge de différends ne paraît pas incommensurable. [...]
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