Le 29 avril 1976 a été adopté un décret relatif aux conditions d'entrée et de séjour en France des membres des familles des étrangers autorisés à résider en France. Ce décret énonçait, mais de manière limitée et sous réserve des engagements internationaux de la France, les motifs pour lesquels l'accès au territoire français ou l'octroi d'un titre de séjour pouvaient être refusés au conjoint et aux enfants de moins de 18 ans d'un étranger résidant régulièrement en France et voulant s'établir auprès de ce dernier. Ces motifs pouvaient être la durée de résidence en France du chef de famille, l'insuffisance de ressources ou les nécessités de l'ordre public. La réglementation était donc assez libérale concernant la venue en France de la famille d'un étranger y résidant.
Cependant, le décret du 10 novembre 1977 a suspendu l'application du décret du 29 avril 1976 pour une durée de trois ans, n'acceptant plus la venue des membres de la famille d'un étranger résidant régulièrement en France qu'à la seule condition qu'ils renoncent à occuper un emploi. Cette mesure, qui a été prise en fonction de la situation de l'emploi, interdisait tout simplement la venue des membres de la famille d'un ressortissant étranger titulaire d'un titre de séjour à moins qu'ils ne renoncent à travailler.
Ce décret du 10 novembre 1977 a été attaqué par le Groupe d'information et de soutien des travailleurs immigrés (GISTI) ainsi que par la CFDT et la CGT au moyen qu'il méconnaissait le principe énoncé dans le dixième alinéa de la Constitution du 27 octobre 1946 selon lequel "la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement".
Le Conseil d'Etat a eu à se demander dans quelles mesures il pouvait dégager un principe général du droit et quelles étaient les limites d'un tel principe.
Dans son arrêt du 8 décembre 1978, le Conseil d'Etat, réuni en assemblée, a annulé le décret du 10 novembre 1977 en estimant qu'il résultait des principes généraux du droit, ainsi que du préambule de la Constitution de 1946 auquel se réfère celui de la Constitution de 1958, que les étrangers résidant régulièrement en France ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale. Le Conseil d'Etat a néanmoins affirmé que ce droit avait pour limites les nécessités tenant à l'ordre public ainsi que la protection sociale des étrangers et de leur famille.
Cet arrêt du Conseil d'Etat est important dans la mesure où il affirme l'existence d'un corps autonome de règles appelées principes généraux du droit (I) qui sont dégagées par le Conseil d'Etat et qui ne doivent pas nécessairement trouver appui sur un texte précis. D'autre part, cet arrêt défini les limites de ces principes généraux du droit (II) qui ont en outre une valeur infra-législative et supra-réglementaire.
[...] Il ne se contente pas de faire allusion au dixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui proclame le droit à une vie familiale normale, mais il dégage ce principe en fonction des "principes généraux du droit". Cet arrêt est donc très important de ce point de vue là, la démarche du Conseil d'Etat étant particulièrement originale par rapport à ses anciennes façons d'énoncer des principes généraux du droit. Ces principes sont donc élevés au rang de principes juridiques préexistant au droit écrit positif: les principes généraux du droit sont alors considérés par le Conseil d'Etat comme des règles fondamentales qui sont bien plus larges que celles énoncées par les textes écrits, ceux-ci n'étant que des supports à celles-là. [...]
[...] Cependant, étant donné que dans son décret du 10 novembre 1977, le gouvernement interdit de manière totale la venue en France des membres de la famille d'un étranger installé régulièrement sur le territoire sauf s'ils renoncent à travailler, le gouvernement n'a pas respecté le principe général du droit à une vie familiale normale. Le décret a donc été annulé mais cela ne signifie pas que le principe général du droit n'a pas de limite. Le Conseil d'Etat, dans son arrêt du 8 décembre 1978, consacre donc l'autonomie ainsi que la grande valeur juridique des principes généraux du droit tout en réaffirmant également leurs limites d'application. [...]
[...] Le gouvernement peut donc s'opposer à la venue des membres de la famille d'un étranger en France si celle-ci va à l'encontre de la sécurité ou de la salubrité publique. Concernant la conciliation du principe général du droit à une vie familiale normale avec la protection sociale des étrangers et de leur famille, cela signifie que la famille arrivant en France doit se voir garantir des ressources suffisantes ainsi qu'un logement décent. Ce principe de protection sociale a également valeur législative. [...]
[...] Dans son arrêt du 26 juin 1959 Ass juin 1959, "Syndicat général des ingénieurs conseil"), le Conseil d'Etat précise la valeur juridique des principes généraux du droit. Il dit en effet que le pouvoir réglementaire est tenu de respecter les principes généraux du droit qui s'imposent à lui, et ce même en l'absence de dispositions législatives. Autrement dit, les principes généraux du droit sont supérieurs au règlement. Cependant, cette précision sur le caractère supra-réglementaire des principes généraux du droit ne renseigne pas sur leur rapport aux autres normes supra-réglementaires. [...]
[...] Les principes généraux du droit résultent de la jurisprudence du Conseil d'Etat. C'est en effet la plus haute juridiction administrative qui énonce de tels principes dans ses arrêts. Le premier principe général du droit a été dégagé dans une décision de 1944 Sect mai 1944, "Dame veuve Trompier-Gravier), ce qui est relativement récent. Au départ, l'édiction de principes généraux du droit a été motivée par la volonté de donner une valeur de droit positif aux principes énoncés dans la Constitution de 1946 afin de confirmer les principes fondamentaux de manière prétorienne. [...]
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