Dans cet arrêt de 1981, le Conseil d'Etat, en maître de la procédure contentieuse se déroulant devant lui, va interpréter deux mesures touchant à la qualité des parties à l'instance. S'il se montrera concret et pragmatique dans son appréciation de l'étendue du cercle d'intéressés constitué par les voisins d'un immeuble sur lequel un permis de construire a été délivré, il se penchera dans l'abstrait et avec une prudence constructive sur l'appréciation d'une procédure contentieuse spécifique au droit de l'urbanisme.
Madame Lochet, contribuable parisienne, est propriétaire d'un appartement situé sur la commune de Chamonix. Le 2 mars 1979, le Préfet de Haute-Savoie accorde un permis de construire à la Société touristique de Mont Blanc portant sur un immeuble sis sur le même territoire communal. Ce permis sera modifié par un nouvel arrêté du 2 mai suivant. Tenant griefs contre ledit permis de construire et les réalisations qui ont vocation à en résulter, Madame Lochet saisit le Tribunal administratif. Ce sera celui de Grenoble, en application de la règle selon laquelle la juridiction compétente concernant un immeuble est celle dans le ressort de laquelle est situé l'immeuble – en l'espèce le permis de construire porte nécessairement sur un immeuble, situé à Chamonix. La requérante dépose un recours pour excès de pouvoir aux fins d'annulation du permis de construire et double son action d'une demande de sursis à exécution de l'acte administratif litigieux. C'est cette dernière qui sera rejetée par un premier jugement du Tribunal administratif du 29 août 1979, le second déboutant la requérante de son recours au fond le 6 février 1980. C'est de l'appel de ces deux jugements que le Conseil d'Etat se voit saisir par Madame Lochet. La Haute juridiction interviendra en l'espèce, en 1981, comme second degré de juridiction, les Cours administratives d'appel n'ayant pris naissance sous la plume du législateur qu'en 1987.
Saisi de nouveau de l'intégralité des faits par l'effet dévolutif de l'appel, le Conseil d'Etat réexaminera les affaires pour les rejeter de nouveau, précisant les contours de certaines notions de procédure administrative contentieuse.
Le juge d'appel commencera par joindre les deux requêtes comme portant sur le même acte – le permis de construire modifié – avant de prononcer un non lieu à statuer sur la requête tendant au prononcé du sursis à exécution de l'acte, la construction qu'il autorise étant entièrement achevée au jour où le juge se prononce. La requête « est devenue sans objet ».
Se concentrant sur le recours principal, le Conseil d'Etat va exclure le moyen de légalité externe invoqué par la requérante et tiré de l'irrégularité de la procédure ayant conduit au prononcé du jugement de première instance pour se concentrer sur le débat de fond l'invitant à se prononcer sur la question, casuistique s'il en est, de l'intérêt à agir. Et dans le cadre de ces deux examens, que le juge impose son interprétation d'un texte en excluant celle prévue par une circulaire ou qu'il restreigne l'accès à son prétoire par une lecture concrète des faits qui n'est pas sans évoquer la technique du faisceau d'indices, il ne se départit pas d'une posture éminemment constructiviste.
Comment se manifeste, dans l'espèce de l'arrêt Lochet, le constructivisme contentieux du juge de l'excès de pouvoir ?
Deux mouvements clairement identifiables sont imprimés par le juge.
Le premier, dans le cadre d'une analyse abstraite, conduit le juge à rejeter l'argumentation procédurale de la requérante de manière à récupérer la maîtrise du déroulement de l'instance, que l'instauration d'une procédure spécifique en matière d'urbanisme lui avait ravi, sous les traits d'une circulaire qu'il n'hésitera pas à écarter. Dans la même veine, le juge va affirmer que la seule qualité de « propriétaire d'un immeuble » à l'égard d'un acte d'urbanisme ne confère pas, en soi, « un intérêt personnel suffisant lui donnant qualité » pour agir.
Le second, dans une démarche qui cette fois se veut concrète, le juge va adopter une posture restrictive vis-à-vis de la détermination du cercle d'intéressés constitué par les voisins ayant qualité à agir contre un acte administratif attaché à un immeuble. Mais en poussant l'analyse selon cette même posture pragmatique, il va finalement falloir se demander si la position adoptée par le Conseil d'Etat n'est pas, au-delà du constructivisme de son œuvre prétorienne, n'est pas également dictée par une opportunité d'espèce due au fait que, quoiqu'il arrive, la construction est d'ores et déjà réalisée. Une décision contraire n'y changerait rien.
L'encadrement in abstracto de la procédure contentieuse en matière d'urbanisme (I) procède ainsi d'une démarche active d'un juge administratif qui, dans le cadre de l'examen in concreto de l'intérêt à agir des voisins, sait faire prévaloir une appréciation plus restrictive (II).
[...] Mais ce sont certainement ici les impératifs portés par le caractère objectif du recours pour excès de pouvoir qui ont également porté le juge sur la voie choisie. En effet, le contribuable défend le denier public, la santé financière de sa commune, là où le voisin n'excipera des moyens de légalité qu'en vue de satisfaire un intérêt non pas collectif mais purement personnel : esthétique, voire pécuniaire. C'est d'ailleurs bien une motivation pécuniaire qui meut Madame Lochet. En effet, le 14 novembre 1979, le préfet de Haute-Savoie a transféré par arrêté le permis de construire sur le même immeuble à un nouveau titulaire. [...]
[...] Il utilise un faisceau d'indices propres aux circonstances de l'espèce lui permettant d'adapter au mieux sa décision. Il refuse ainsi de trancher de manière générale la question. Ne pas trancher par voie générale cette question c'est surtout refuser de la trancher de manière objective. A cet égard, le considérant de l'arrêt Lochet est finalement lapidaire, expéditif. Il ne nous explique en rien pourquoi les circonstances de l'espèce ne confèrent pas un intérêt personnel suffisant à la requérante. Le juge a tranché de manière subjective. [...]
[...] A ce point de l'analyse de l'arrêt Lochet, il semble qu'il convienne de pencher pour la seconde branche de l'hypothèse. La part de subjectivité qu'introduit la notion d'intérêt à agir dans le recours pour excès de pouvoir est nécessaire au juge. Soit pour lui permettre de ne pas trancher par voie générale pour préserver son prétoire d'une action populaire qu'il a toujours rejeté, soit pour permettre à ce même juge d'adapter sa décision au mieux des situations individuelles qui sont soumises à son arbitrage. [...]
[...] Elle participe des conditions de recevabilité du recours contentieux aux côtés de la règle de la décision préalable, du respect des délais de recours et, lorsqu'il y a lieu, du recours administratif préalable. Il s'agit ici de questionner le concept de qualité compris en ce qu'il renvoie à la qualité juridique de la requérante. En effet, certains requérants dans le cadre du contentieux de l'excès de pouvoir, ce sont vu reconnaître un intérêt à agir du seul fait de leur qualité. Il en va ainsi du contribuable de la commune concernant les décisions emportant l'inscription d'une dépense au budget de la commune (CE 29 mars 1901, Casanova, Rec. p.333). [...]
[...] Dans cet arrêt, le Conseil d'Etat entend réaffirmer cette mainmise lorsqu'elle semblait pouvoir ne pas aller de soi. Ce faisant, il délimite in abstracto les contours d'un recours pour excès de pouvoir qu'il a lui-même forgé et dont il ne tient pas à abandonner la direction. Cette volonté est patente dans la posture constructiviste qu'adopte le juge lorsqu'il interprète avec souplesse les conditions d'une procédure contentieuse spécifique en matière d'urbanisme démontrant qu'il reste au principe d'une instance qu'il n'entend pas transformer en une véritable action populaire excluant donc comme insuffisante la seule qualité de propriétaire d'un immeuble d'une commune pour agir contre un permis de construire délivré sur le territoire de celle-ci. [...]
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