Au milieu des années 1990, s'organisaient, dans les discothèques de France, des manifestations quelques peu curieuses, appelées « lancé de nain ». L'attraction était simple, il s'agissait de saisir les poignées fixées sur la combinaison d'une personne atteinte de nanisme et de la lancer le plus loin possible. A priori, tout le monde y trouvait son compte : les participants s'amusaient, la discothèque enregistrait un nombre record d'entrées et de consommations (le « lancé de nain » donnant chaud et soif) et le « nain » touchait un salaire assez confortable, composant d'ailleurs parfois sa seule source de revenus.
Toutefois, cette activité, qui avait tendance à réifier une personne humaine, émut un certain nombre de maires qui tentèrent de limiter de telles activités. Le maire de Morsang-sur-Orge alla même jusqu'à interdire purement et simplement, par un arrêté en date du 25 octobre 1991, l'activité en question sur le territoire de sa commune en se prévalant de ses attributions de police administrative générale telles que mentionnées à l'art. L. 131-2 du Code des communes et sur le respect de la dignité humaine (...)
[...] Ainsi, les trois composantes de l'ordre public s'avéraient inopérantes pour justifier légalement l'arrêté d'interdiction du lancé de nain pris par le maire de Morsang-sur-Orge qui portait atteinte, selon les requérants, à la liberté du travail (il s'agissait de la seule source de revenus du nain) et à la liberté du commerce et de l'industrie. C'était donc en toute logique que le Tribunal administratif de Versailles avait annulé l'arrêté municipal et condamné, en conséquence du préjudice économique subi par le nain et la société qui produisait son spectacle à leur verser une indemnisation de 10.000 F. [...]
[...] Toutefois, si le Conseil d'Etat a ouvert la porte à un certain contrôle de la moralité d'activités économiques par les maires, il semble qu'il garde la main fermement appuyée sur la poignée. Le Conseil d'Etat n'a en effet pas abusé de cette possibilité en acceptant qu'une seule fois, suite à cette espèce, une interdiction fondée sur le respect de la dignité humaine. Il s'agit d'une ordonnance du 5 janvier 2007 relative à la soupe au cochon où le caractère discriminatoire de cette activité par une association dite caritative a été interdit au nom du respect de la dignité de la personne humaine. [...]
[...] L'Assemblée du Conseil d'Etat réforma le jugement du Tribunal administratif de Versailles en donnant pour fondement à cette interdiction le respect de la dignité humaine. Elle alla même plus loin en adjoignant à cette quatrième dimension de l'ordre public un caractère absolu en ne limitant pas son utilisation par la présence de circonstances locales particulières telles qu'elle les exigeait auparavant dans ce type de situation (cf. Les Films Lutetia, Conseil d'Etat, Section du contentieux décembre 1959). Cette création, sans fondement textuel, était particulièrement audacieuse et n'est pas sans poser un certain nombre de problèmes juridiques. [...]
[...] 131-2 du Code des communes et sur le respect de la dignité humaine. Saisi en réparation et en annulation de l'arrêté par la société Fun Production, qui employait le nain en question dans la discothèque de Morsang-sur-Orge, le tribunal administratif de Versailles avait décidé l'annulation de l'arrêté litigieux en se fondant sur le fait que même dans l'hypothèse où l'activité en question porterait atteinte à la dignité de la personne humaine, son interdiction supposait, pour être légale, la présence de circonstances locales particulières. [...]
[...] En réponse, l'Assemblée du Conseil d'Etat prit, avec une certaine audace, le parti de créer, ultra legem, une quatrième composante de l'ordre public : le respect de la dignité de la personne humaine, justifiant ainsi la décision du maire de Morsang-sur Orge même, en l'absence de circonstances locales particulières (I.). Cette création prétorienne n'est évidemment pas sans soulever un certain nombre de problèmes juridiques (II.). I. La création d'une nouvelle composante de l'ordre public : le respect de la dignité de la personne humaine Les composantes traditionnelles de l'ordre public se trouvant inopérantes pour prendre en compte de l'activité de lancé de nain l'Assemblée du Conseil d'Etat, désireuse de permettre aux maires de limiter ou d'interdire une telle activité se trouve alors face à la nécessité de créer une nouvelle composante de l'ordre public (B.). [...]
Bibliographie, normes APA
Citez le doc consultéLecture en ligne
et sans publicité !Contenu vérifié
par notre comité de lecture