L'article 15 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 dispose que « la Société a le droit de demander compte à tout Agent public de son administration ». L'Administration, sous l'autorité du pouvoir exécutif, ne peut agir comme bon lui semble ; soumise au principe de légalité, elle peut voir ses actes attaqués par les administrés si ceux-ci considèrent qu'ils sont entachés d'illégalité. Ce principe souffre cependant quelques exceptions.
L'une de ces exceptions au principe de légalité fonde le présent arrêt du Conseil d'Etat « Comité contre la guerre en Irak », rendu le 30 décembre 2003. En l'espèce, dans un contexte de rejet politique en France de la guerre menée contre l'Irak par la coalition anglo-américaine, les associations requérantes demandent au Conseil d'annuler pour excès de pouvoir une décision du ministre de la Défense communiquée par le ministre des Affaires étrangères de laisser les forces aériennes anglo-américaines traverser l'espace aérien français pour se rendre sur le théâtre des opérations.
L'acte attaqué émanant directement de membres du Gouvernement, le Conseil d'Etat est saisi en premier et dernier ressort des différentes requêtes, jointes par le Conseil dans la mesure où elles « tendent à l'annulation de la même décision ». Le Conseil d'Etat, dont la solution s'appuie sur les dispositions du Code de la Justice Administrative et sur l'article 6 de la Convention EDH, rejette les requêtes au motif de son incompétence : « Considérant […] que cette décision n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France ; que, sans que puissent être utilement invoquées les stipulations de l'article 6 de la Convention Européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, la juridiction administrative n'est dès lors pas compétente pour connaître des requêtes tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cette décision ». Le juge administratif refuse de contrôler la légalité de l'acte attaqué.
Dans quelle mesure la Haute Juridiction administrative se déclare-t-elle incompétente pour statuer sur la légalité d'un acte gouvernemental ? Ce rejet pour incompétence des requêtes ne trouve sa justification que dans l'appréciation souveraine de la nature juridique de l'acte par le Conseil ; sur le fondement du critère jurisprudentiel du caractère « détachable » de cette décision ministérielle dont la nature juridique pose problème (I), le Palais Royal peut déclarer celle-ci insusceptible de recours (II), dans un souci d'autocontrôle de ses prérogatives vis-à-vis des actes du pouvoir exécutif.
[...] Il a trait en outre aux fonctions régaliennes de l'Etat par son aspect militaire. Tous ces éléments concourent à ce que cette autorisation de survol ne soit pas considérée comme un acte administratif. Il n'est donc pas question ici d'une irrecevabilité du recours dirigé contre la décision du ministre de la Défense, mais plus simplement d'une incompétence du juge administratif quant à l'appréciation de sa légalité ce qui ne signifie pas pour autant que l'acte de gouvernement ne doive pas rester soumis à la légalité. [...]
[...] En l'espèce, l'objet des requêtes est un acte pris dans le cadre d'une relation directe d'Etat à Etat, au sein de laquelle le juge national ne saurait s'immiscer sans outrepasser ses compétences l'orientation de la politique étrangère de l'Etat n'est pas de son ressort. C'est un impératif d'équilibre, de séparation des pouvoirs dépassant le cadre du droit administratif. R. Chapus justifie quant à lui la reconnaissance des actes de gouvernement par l'existence d'une fonction gouvernementale qui se distinguerait de la fonction administrative au sein des prérogatives de l'exécutif ; la difficulté réside alors dans la distinction précise de ces deux fonctions d'où le recours nécessaire à l'appréciation souveraine du Conseil d'Etat. [...]
[...] Enfin, le Palais Royal a étroitement encadré cette catégorie juridique spéciale : chaque acte est qualifié au cas par cas, sans qu'il ait été formulé de véritable définition générale par le juge. L'acte de gouvernement ne subsiste plus que dans des ensembles bien circonscrits : la conduite des relations extérieures, comme on l'a constaté dans le présent arrêt, et les rapports entre les pouvoirs publics constitutionnels. Ici, la qualification d'acte de gouvernement se limite à l'acte diplomatique lui-même Justifications de l'existence des actes de gouvernement. [...]
[...] L'immunité juridictionnelle peut générer un risque de dérive de l'action du pouvoir exécutif. C'est ce que redoutent une grande partie des auteurs de la doctrine. L'équilibre des pouvoirs se trouve mis en jeu via cette question des actes de gouvernement. L'arrêt, qui illustre une jurisprudence constante du Conseil, participe de ce débat quant au bien-fondé de l'existence des actes de gouvernement. B. Une immunité juridictionnelle objet de controverses doctrinales Un danger juridique limité. [...]
[...] Le contenu de la liste des actes de gouvernement a ainsi beaucoup varié depuis la création de la notion (arrêt CE Duc d'Aumale, 1867), dans le sens d'une contraction de la catégorie des actes de gouvernement. A partir du moment où de manière implicite ici la décision attaquée est déclarée acte de gouvernement par le Palais Royal, celui-ci ne s'estime plus compétent pour statuer quant à la légalité dudit acte ministériel, du fait de la nature autre qu'administrative de l'acte. [...]
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