L'auteur a toujours eu la tâche difficile de concilier deux exigences contradictoires de son amour-propre. Son souhait d'être connu du plus vaste public possible, qui le pousse à publier ou à diffuser son oeuvre, et à courir ainsi le risque d'être copié, plagié, repris, enrichi, contredit, et le désir d'être reconnu comme le seul auteur de l'oeuvre, qui peut l'inciter à ne pas la laisser s'échapper et à la conserver jalousement. Longtemps, le mécénat permit de concilier ces deux exigences.
Mais, pour les pouvoirs publics, cette solution n'était sans doute pas optimale. L'utilité sociale d'une oeuvre se mesure à sa diffusion, à sa capacité à provoquer ou à nourrir le débat, à enrichir la culture nationale. En ce sens, la législation sur le droit d'auteur doit éviter l'abus de droit de l'auteur sur son oeuvre. Mais, dans le même temps, elle doit créer les conditions favorables de l'épanouissement des beaux-arts et, pour se faire, garantir à l'auteur un niveau suffisant de sécurité juridique et de reconnaissance morale et matérielle de ses droits sur l'oeuvre pour récompenser l'auteur et inciter d'autres talents à s'exprimer.
De la recherche de ce délicat équilibre, la technique de diffusion de l'oeuvre ne peut être absente.
Tout dépend de la plus ou moins grande capacité offerte à copier ou réutiliser une oeuvre. La quantité ou le volume de contenu artistique, littéraire ou musical, conditionne naturellement le degré de protection accordé aux droits que l'auteur tire de son oeuvre.
La qualité de la reproduction est également en jeu : l'auteur dispose également d'un droit au respect de l'intégrité de son oeuvre, de même que le lecteur ou le public ont le droit d'être assuré que l'oeuvre qu'ils apprécient est bien le produit du génie de son auteur, sans modification ou altération.
Cette problématique existe bien avant l'invention de l'imprimerie. « Pour exercer un contrôle intellectuel et économique sur la circulation des livres, l'Université avait voulu en effet que les ouvrages indispensables aux études des maîtres et des écoliers fussent soigneusement vérifiés dans leur texte, afin qu'il ne s'y glissât point d'erreurs qui eussent pu en dénaturer le sens. Pour permettre dans les meilleures conditions la multiplication des copies, sans altération du texte et sans spéculation abusive de la part des copistes, l'Université mit au point un système fort ingénieux de prêt de manuscrits contrôlés et soigneusement revus, à partir desquels des copies pouvaient être faites contre une rémunération tarifée (« taxée »). Le manuscrit de base « l'exemplar » revenait après copie au stationnaire et ce dernier pouvait alors le louer une nouvelle fois. Cette méthode avait le grand avantage d'éviter des altérations de plus en plus graves, de copie à copie, puisque chacune était faite à partir d'une même modèle unique.»
Les techniques numériques permettent aujourd'hui de se passer d' « exemplar » puisqu'elles permettent précisément, par la perfection de la copie, de faire du double un nouvel «exemplar». Mais faut-il pour autant dire que la seule question liant droit d'auteur, techniques numériques et internet tourne autour de la titularité des droits, et du respect des droits de l'auteur sur son oeuvre ? Rien n'est moins certain.
L'environnement numérique moderne autorise également des altérations de l'oeuvre d'autant plus redoutables qu'elles sont à la fois facilement réalisables et difficilement décelables. Jamais sans doute les techniques n'ont à la fois permis une si grande capacité de diffusion de la pensée et présenté autant de risques pour l'oeuvre et pour les droits de son auteur. Tout est aujourd'hui mis en ligne et disponible sur internet, et l'on y trouve n'importe quoi.
Chacun peut y publier ou diffuser son oeuvre, et personne n'est capable de dire qui en est l'auteur ou, simplement, qui est à l'origine de la mise en ligne. Comme l'écrit Jorge Luis Borges, au sujet de sa bibliothèque de Babel, comparable à de nombreux égards au monde du réseau Internet :
« Quant on proclama que la Bibliothèque comprenait tous les livres, la première réaction fut un bonheur extravagant. Tous les hommes se sentirent maîtres d'un trésor intact et secret. Il n'y avait pas de problème personnel ou mondial dont l'éloquente solution n'existât quelque part (…). A l'espoir éperdu succéda, comme il est naturel, une dépression excessive.
La certitude que quelque étagère de quelque hexagone enfermait des livres précieux, et que ces livres précieux étaient inaccessibles, sembla presque intolérable. »
Comme l'écrit encore Borges, « la Bibliothèque est si énorme que toute mutilation d'origine humaine ne saurait être qu'infinitésimale. (…) si chaque exemplaire est unique et irremplaçable, il y a toujours, la Bibliothèque étant totale, plusieurs centaines de milliers de fac-similés presque parfaits qui ne diffèrent du livre correct que par une lettre ou par une
Virgule. »
Le propre d'une législation sur le droit d'auteur est de rechercher un équilibre entre ces différents points : protéger les droits que l'auteur tient sur l'oeuvre de son esprit, et protéger l'intégrité de l'oeuvre ; assurer aussi, dans les meilleures conditions, la diffusion de l'oeuvre, et garantir l'authenticité des copies. L'environnement numérique, et plus particulièrement le réseau internet, rend cet équilibre difficile à trouver et délicat à maintenir.
La législation sur le droit d'auteur doit-elle se transformer pour faire face aux nouvelles technologies ?
Répondre à cette question passe par l'examen de la législation sur le droit d'auteur (I), avant de nous pencher sur la législation actuelle, ainsi que sur ses lacunes (II).
[...] Or, l'impact des nouvelles techniques sur ce droit est plus qu'ambigu. Dans un sens, et sans vouloir manier avec trop d'audace le paradoxe, il est légitime de soutenir que les nouvelles techniques permettent précisément d'assurer la pleine effectivité du droit au respect de l'oeuvre : sa numérisation permet d'abord qu'elle soit reproduite à la perfection, que ses copies ne puissent être distinguées de l'original, bref, que l'intégrité de l'oeuvre soit toujours et parfaitement respectée. Mais on le sait, la numérisation de l'oeuvre autorise également sa manipulation, sans qu'il soit nécessaire, pour cela, d'être un expert informatique. [...]
[...] Il est remarquable à cet égard que les premières décisions de justice qui, en France, ont reconnu l'applicabilité du droit d'auteur à l'internet ont été rendues par le juge des référés qui est, selon les civilistes, le juge de l'évidence. Mais, dans la pratique, il est certain que l'inclusion du réseau mondial dans le champ d'application de la législation sur le droit d'auteur n'est pas sans poser certaines difficultés. L'internationalisation du droit d'auteur : source d'une mise en œuvre difficile de la législation La législation sur le droit d'auteur s'applique donc à l'internet. Mais trois difficultés pratiques peuvent être soulignées tenant respectivement au contenu de ce droit, à ses exceptions légales et à sa territorialité. [...]
[...] Notamment, il serait possible de prévoir que la comptabilisation des visites sur le site copié, qui est une valeur marchande du monde de l'Internet, soit systématiquement répercutée vers le site d'origine. Une disposition devrait créer cette obligation pour les serveurs de proximité. Le Conseil d'Etat propose d'aller plus loin en envisageant une seconde exception technique au droit d'auteur qui ne concernerait plus la copie technique volatile mais la copie technique temporaire tout en prévoyant une rémunération particulière de ce fait. [...]
[...] Comparables sont, à cet égard, les incidences de la numérisation de l'oeuvre sur le droit de retrait que peut exercer son auteur. Ce droit, également appelé droit de repentir, donne à l'auteur la possibilité de faire cesser la diffusion ou l'exploitation d'une oeuvre parce qu'il ne la juge plus digne de lui ou qu'il souhaite la modifier. Là encore, les nouvelles techniques ne doivent pas être exclusivement regardées comme une menace pesant sur ce droit. La souplesse de manipulation qu'elles donnent à l'oeuvre peut aussi être utilisée par l'auteur lui-même pour modifier l'oeuvre comme il l'entend, et ce à moindre coût. [...]
[...] En définitive, l'application de la législation relative au droit d'auteur n'est pas impossible, mais se heurte, dans la pratique, à de nombreuses difficultés. Les composantes traditionnelles du droit d'auteur sont bouleversées, ses limitations légales tendent à devenir toute autre chose que des exceptions, et même la détermination du droit applicable ne va pas sans difficultés. Mais, sur toutes les questions précédemment abordées, la législation existe. Certains points, en revanche, échappent encore à toute législation et ont été tranchées, progressivement, par la seule voie jurisprudentielle. [...]
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