Dans l'arrêt Paradis de la première chambre civile du 13 novembre 2008, la Cour de cassation octroie une protection à une œuvre artistique moderne par le droit d'auteur. Pour la première fois, la plus haute juridiction se penche sur le cas d'une œuvre où le concept a davantage d'importance que sa matérialisation.
Cette œuvre, élaborée en 1990 à Ville-Evrard, consiste en l'apposition du mot « Paradis » en caractères dorés sur la porte des toilettes d'un dortoir d'un hôpital psychiatrique. Son auteur, Jakob Gautel est coutumier de ce procédé artistique qui consiste à associer à un lieu déterminé un mot incongru : « ma solitude » au-dessus d'une fenêtre ou encore « ma colère » sur une tombe.
Seulement le droit d'auteur ne protège pas les idées, qui sont de libre parcours, et encore moins les démarches artistiques qui ne constituent pas à proprement parler une forme, qui seule est susceptible d'être l'objet de la protection à condition d'être originale. A ce titre l'art contemporain ou moderne, en reposant davantage sur une idée ou un concept original que sur l'expression d'une forme intrinsèquement originale, rompt avec les catégories traditionnelles du droit d'auteur.
[...] Pour résoudre ce dilemme, l'arrêt assouplit les critères du droit d'auteur et use de subterfuges mystérieux : l'association du concept et d'une forme difficilement déterminable, l'évocation de l'originalité sans distinction réelle du concept et de la forme et l'affirmation péremptoire de la réalisation d'une forme. Une fois que l'on salue le brio des juges pour avoir réussi à faire le lien entre le concept artistique original et une réalisation formelle qui l'est moins, de nombreux problèmes se posent. Les juges ouvrent ainsi une boite de Pandore qui fragilise les contours et les fondations du droit d'auteur. [...]
[...] Tout le problème est de savoir quelle forme les juges ont entendu protéger tant celle-ci est moins perceptible que la démarche de l'artiste. Certes la reproduction de ce qui se présente comme une œuvre sur une photographie évite de se poser les bonnes questions L'intégration de la démarche conceptuelle dans la forme Bien entendu le concept de l'association d'un mot et d'un lieu, aussi original soit-il, ne peut être protégeable par le droit d'auteur. La raison est évidente : cela aboutirait à créer des droits exclusifs sur des mots et des endroits. [...]
[...] C'est ce que la Cour de cassation rappelle en réponse au troisième moyen du pourvoi. L'appréciation de la contrefaçon sur des œuvres dites conceptuelles ne déroge donc en rien aux dispositions normales, simplement son établissement aurait peut-être nécessite de cerner au mieux les contours de l'œuvre. Une partie de la doctrine[3] n'a pas manqué de souligner, non sans exagération et dépit, que l'artiste décidant d'apposer le mot boucherie sur une banque pourrait voir son œuvre protégée. Ainsi la personne apposant le mot Paradis au-dessus d'une autre porte de toilettes pourrait-elle être qualifiée de contrefacteur ? [...]
[...] Cela nécessite encore de déterminer qui est artiste, alors même que le droit d'auteur est indifférent au mérite. Procéder autrement ouvrirait grand la porte au charlatanisme. C'est là une des ambiguïtés majeures à reconnaître officiellement une protection par le droit d'auteur aux œuvres conceptuelles. D'ailleurs l'arrêt en tentant de concilier l'avant garde artistique et le classicisme juridique écarte en partie ce danger. Dans l'œuvre Paradis il est évident qu'il existe plusieurs niveaux de concepts : - le fait de créer un décalage entre l'inscription textuelle et le sens que porte le lieu ; un tel contraste est une expression artistique générale et abstraite. [...]
[...] Seulement pour d'autres œuvres contemporaines du même type, l'arrêt ne fixe aucune ligne directrice quant à la méthodologie à appliquer pour déterminer les contours de l'œuvre. Ceux-ci ne sont-ils que l'inscription Paradis stricto sensu ? Il faut croire que non puisque l'arrêt reprend la description de la mise en scène et que la démarche artistique va au-delà d'une inscription. En effet, il s'agit d'une inscription qui prend place dans un lieu. De sorte que l'œuvre d'art s'appuie sur des matériaux préexistants à savoir les murs et la porte de l'ancien hôpital psychiatrique. [...]
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