Cour de Cassation, 1re chambre civile, 24 septembre 2009, atteinte au droit moral, auteur, droit au respect, oeuvre, eproduction fidèle, interprétation vieillie, droit de reproduction
L'un des points de friction majeurs des débats contemporains sur le droit d'auteur concerne, à n'en pas douter, la durée de la protection octroyée. Si l'extension des droits patrimoniaux jusqu'à soixante-dix années post mortem auctoris suscite en effet de vives controverses, liées notamment à sa disproportion au regard de l'accélération des flux informationnels et financiers, il peut paraître étonnant, cependant, de constater que l'imprescriptibilité du droit moral (des droits moraux) demeure un acquis relativement consensuel – en droit français, du moins. Non pas, évidemment, que l'exercice du droit moral ne puisse donner lieu à certains abus caractérisés ; mais, même dans les cas les plus manifestement légitimes, il est significatif d'observer que le pouvoir d'exclusion conféré par les droits moraux peut servir de relais à celui conféré par les droits patrimoniaux, quitte à brouiller les délimitations théoriques et étendre le contrôle discrétionnaire des titulaires.
[...] Bien au contraire : l'article L221-1 du Code de la Propriété Intellectuelle, dans la mesure où il dispose que les droits de l'auteur priment dans leur exercice les droits voisins, suggère l'impossibilité de concevoir un droit ouvert pour l'artiste-interprète et non pour l'auteur 2. Une excroissance morale du droit de reproduction La caractérisation de l'atteinte au droit moral par la Cour est donc pour le moins problématique. Non pas que la réalité économique et sociale du préjudice soit incertaine : il paraît légitime, pour l'interprète comme pour l'auteur, de s'inquiéter de la diffusion d'enregistrements obsolètes, propres à déconsidérer l'artiste aux yeux de nouveaux publics ; c'est le choix de l'instrument juridique qui surprend. [...]
[...] Les œuvres et leurs interprétations sont ici exploitées en tant que telles, dans leurs intégralités respectives, au sein d'une compilation méthode de représentation des œuvres musicales somme toute assez courante. D'autre part, le cadre de cette représentation n'est pas tel qu'il altère l'intégrité morale ou intellectuelle de l'œuvre : le sens intrinsèque de cette dernière n'est pas fondamentalement modifié pour avoir été commercialisé en supermarché. Les justifications d'ordre moral paraissent donc finalement assez discutables, de sorte que la question du contrôle des modalités d'exploitation ressortit davantage, en l'espèce, aux droits patrimoniaux, et plus précisément à une certaine composante du droit de reproduction, le droit de destination dans sa conception extensive propre aux systèmes français et belge, du moins. [...]
[...] La problématique semble donc se cristalliser autour de l'usage qui dénaturerait l'œuvre, en l'occurrence un usage publicitaire, qui subordonnerait la représentation de l'œuvre à la promotion de produits ou services d'une nature différente ; un tel usage, il est vrai, contrarie dans une certaine mesure la sensibilité personnaliste du droit d'auteur à la française, au regard de laquelle il a tôt fait de passer pour une dégradation. De fait, le droit positif a de longue tradition condamné les usages publicitaires susceptibles de dénaturer une œuvre musicale, et plus précisément les usages dans le cadre de publicités n'ayant pas pour seul objet l'exploitation de l'œuvre (Civ. [...]
[...] Des conditions de commercialisation dégradantes Dans un second temps, la Cour sanctionne le choix de méthodes de commercialisation susceptibles de porter atteinte au respect dû à l'œuvre et à l'interprétation. Si cette solution paraît légitime, du moins au regard d'une philosophie du droit d'auteur qui ne renoncerait pas entièrement à distinguer entre beaux-arts et œuvres utilitaires elle paraît ouvrir la voie à un certain droit de destination, défini selon des conditions propres à l'exercice des droits moraux Une atteinte réelle à l'image de l'œuvre et de son auteur La Cour retient que la commercialisation d'une compilation [ . [...]
[...] D'une part, théoriquement, elle contribue à neutraliser des distinctions cruciales : il paraît nécessaire, en effet, que l'exercice du droit moral soit fondé sur de véritables justifications (morales, précisément), faute de quoi il ne se présenterait que comme la paisible continuité des droits patrimoniaux discrétionnaires. _ 3. À Letter Home, album de Neil Young (Third Man Records, 2014), produit sur le label de Jack White, enregistré dans une cabine Voice-o-Graph de 1947. D'autre part, une bonne économie de l'exploitation des œuvres (au sens large, c'est-à-dire sociétal) exige que la chute dans le domaine public soit traduite par de véritables conséquences pratiques, et notamment par l'impossibilité pour le titulaire de prétendre conserver le même niveau de pouvoir exclusif. [...]
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