cour de Cassation, 1ère chambre civile, 13 novembre 2008, détournement d'un objet préexistant, protection du droit d'auteur, paradis, idée et sa réalisation, protection des idées, ready-made, mérite de l'auteur, choix esthétique
L'un des traits saillants de l'évolution historique du droit d'auteur concerne l'extension progressive de son champ d'application rationae materiae : à la différence du copyright anglo-saxon, les types, ou catégories d'œuvres auxquelles s'applique le droit d'auteur ne sont pas limitativement énumérés ; en l'espace de quelques siècles, sa protection a ainsi pu être octroyée à de nouveaux objets, au gré des évolutions techniques et esthétiques, sous réserve du respect des deux critères canoniques de mise en forme et d'originalité. Cette évolution, qui est successivement venue protéger les œuvres photographiques, cinématographiques, ou encore plus récemment les logiciels, semble pourtant s'être heurtée à un cas limite en appréhendant les tendances nouvelles de l'art conceptuel, et plus précisément du ready-made : ces œuvres, caractérisées pour l'essentiel par le détournement d'un objet préexistant, sont-elles éligibles à la protection du droit d'auteur ?
[...] On notera toutefois pour conclure qu'une telle difficulté n'est pas propre aux œuvres d'art dit conceptuel, de sorte qu'elle ne devrait pas jouer contre la validation de la solution retenue par la Cour. La question de la portée du droit d'auteur est celle d'une tension entre l'exclusion de l'idée et la nécessaire protection contre les reproductions non serviles : il s'agit toujours, dans ces cas de contrefaçons, de déterminer où s'arrête l'inspiration (légitime pour la création d'œuvres nouvelles) et où commence la copie. [...]
[...] Il a en cela le mérite de s'appuyer sur des principes de droit solide et communément acquis tant et si bien que ce n'est pas quant au droit que la Cour le contredira. En effet (et c'est là ce qui est d'abord significatif), il semble bien falloir lire, dans le silence des motifs sur ce point, une validation, et donc une réaffirmation, de ce principe que le mot et l'idée sont insusceptibles de protection ; en un mot : la demanderesse au pourvoi n'a pas tort quand elle affirme qu'un mot ou une idée ne sauraient être protégés (sur ce principe, la Cour n'entend manifestement pas revenir), elle a simplement tort de réduire l'œuvre du défendeur à un tel mot ou une telle idée (partie du raisonnement sur laquelle nous reviendrons). [...]
[...] Nous étudierons successivement le traitement qui est fait ici de la condition de mise en forme et de la condition d'originalité (II). I. La détermination d'une création dans l'ordre conceptuel : l'idée et sa réalisation Confrontée à la particularité d'une œuvre manifestement définie par un jeu de concepts contradictoires, la Cour réaffirme une position traditionnelle : il n'est pas question ici de protéger une idée (l'idée de ce jeu), mais bien une œuvre mise en forme quitte à opérer un glissement vers un critère plus accueillant pour l'évaluation de cette mise en forme A. [...]
[...] Une telle solution reviendrait ainsi à protéger l'apposition d'un certain mot (voire de ses synonymes, ou d'un champ lexical) au-dessus d'une porte de toilettes vétuste (voire de n'importe quelle porte également vétuste) autrement dit, une idée plus qu'une forme précisément localisable. L'arrêt ne résout pas explicitement cette difficulté, qui tient à la portée de la protection d'une telle œuvre : les faits de l'espèce se réduisent à un cas de copie servile (la contrefaçon portant sur une photographie de l'œuvre telle qu'installée par l'auteur lui-même), de sorte que rien ne permet d'en induire avec certitude les conséquences qu'emporterait l'installation d'une œuvre analogue par un autre artiste, qui emploierait un autre mot par exemple, et/ou ailleurs qu'à l'ancien hôpital psychiatrique de Ville-Evrard. [...]
[...] Sous le premier rapport, il est exclu de la protection du droit d'auteur, en vertu du principe d'exclusion des idées, qu'on vient d'examiner. Sous le second, qui remplit certes la condition de mise en forme (le mot comme élément de langage formel), il paraît pourtant raisonnable de penser qu'un mot usuel (ici un substantif issu du langage courant) n'est à l'évidence pas une création, ou, pour le dire autrement, ne saurait avoir d'auteur (si ce n'est la communauté linguistique des origines, largement fictionnelle). [...]
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