D'après l'article D.50 du code de la procédure pénale, un détenu est « une personne faisant l'objet d'une mesure privative de liberté à l'intérieur d'un système pénitentiaire ». Mais malheureusement cette « mesure privative de liberté » fait l'objet d'autres mesures destiné à organiser les modalités de détention, en principe insusceptible de faire l'objet d'un contrôle quelconque. Cette absence de possibilité de contrôle contribue considérablement à l'opacité du système pénitentiaire français.
Par décision du 19 décembre 2005 la Cour administrative d'appel de Paris, siégeant en formation plénière, a contribué à affaiblir ce régime arbitraire, régnant dans le système pénitentiaire, en constituant un revirement partiel de jurisprudence. En effet, les juges administratifs affirment qu'une mesure de transfèrement d'un détenu d'un établissement de peines vers une maison d'arrêt, contre la volonté du détenu, ne pouvait pas être qualifié comme une mesure d'ordre intérieur et était donc susceptible d'être soumis au contrôle de légalité exercé par le juge pour excès de pouvoir.
En l'espèce, M. Boussouar, incarcéré le 29 mars 1995, a été condamné le 30 janvier 1997 par la Cour d'assises du Rhône à une peine de 20 ans de réclusion criminelle. Courant 2003, le détenu a demandé au ministre de la justice à être transféré dans une maison centrale situé dans la région Rhône-Alpes afin d'être plus proche de sa famille, une demande refusé fin octobre. Par une décision du 26 novembre 2003, le ministre de la justice a ordonné son transfèrement de la maison centrale de Saint-Maur à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis.
Le détenu concerné essaye d'obtenir l'annulation de cette décision devant le Tribunal administratif de Paris. Mais par ordonnance du 20 décembre 2004 le Président de la 7ième section a rejeté cette demande pour irrecevabilité, au motif que la décision contestée constituait une mesure d'ordre intérieur insusceptible de pouvoir faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir.
M. Boussouar présente alors une requête devant le Cour administrative d'appel pour demander l'annulation de cette ordonnance et de la décision du changement d'affectation.
Les juges administratifs en formation plénière décident d'accueillir la demande du détenu. Par décision du 19 décembre 2005 ils annulent la décision de changement d'affectation, ordonnant le transfèrement du détenu.
La décision de changement d'affection, entraînant le transfert d'une maison centrale vers une maison d'arrêt, contre la volonté du détenu, constitue-t-elle donc pas une simple mesure d'ordre intérieur, insusceptible de pouvoir faire l'objet d'un contrôle pour excès de pouvoir ?
En effet les juges de la Cour administrative d'appel ont conclu que la décision de transfèrement du détenu d'une maison centrale vers une maison d'arrêt, contre sa volonté, ne constitue pas une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de faire l'objet d'un contrôle pour excès de pouvoir, mais un acte administratif (I.) qui lui est recevable d'être demandé en annulation et qui peut donc être contrôlé sur sa légalité (II.).
[...] De plus, il s'impose à l'autorité prenant une telle décision soumise à l'article précité, de respecter le principe du contradictoire. En effet, elle doit préalablement permettre au concerné de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales comme le dispose l'article 24 de la loi du 12 avril 2000. Les juges de l'espèce constatent, en affirmant l'application des articles précités, que la décision litigieuse, ne suffisait point aux exigences de légalité. Une situation négligée par le ministre qui ignorait certainement qu'il prenait une décision ayant le caractère d'un acte administratif et donc nécessitant de suffire aux exigences de légalité. [...]
[...] Le détenu est seulement emprisonné dans sa cellule pendant la nuit. M. Boussouar qui est donc en l'espèce transféré dans une maison d'arrêt, bien que déjà condamné et de plus pour une durée de 20 ans, se voit de nouveau placé avec des prévenus en attente d'être jugés et dans des conditions de détention beaucoup plus stricte. Sa situation, comme le précisent les juges de l'espèce, ne relevait non plus d'aucune des hypothèses ou il aurait pu être placé dans un quartier distinct d'une maison d'arrêt Le requérant se retrouve à nouveau dans une cellule isolée et ne bénéficie point d'activités favorisant la réinsertion. [...]
[...] Boussouar a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle. L'article 717 du code de procédure pénale prévoit que, outre les prévenus en attente d'être jugés, les condamnés à une peine de prison inférieure ou égale à un an sont en principe détenus dans une maison d'arrêt. Cependant, à titre exceptionnel les détenus des maisons d'arrêt peuvent être incarcérés dans un quartier distinct, lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, leur situation familiale ou leur personnalité le justifient Il s'en suit alors qu'une détention dans une maison d'arrêt est en principe isolée. [...]
[...] Qu'il s'en suit que la décision du 26 novembre 2003 modifiant l'affectation de M. Boussouar et ordonnant son transfèrement constitue un acte administratif A la nécessité d'un contrôle de légalité et au besoin d'une solution juridiquement correcte, les juges requalifient ainsi en l'espèce une décision de transfèrement d'une maison centrale vers une maison d'arrêt en acte administratif. Une telle démarche constitue un nouvel apport en jurisprudence, puisque les arrêts précités Remli Glaziou et notamment l'arrêt Marie du 17 février 1995 rendu par le Conseil d'Etat, siégeant en formation d'assemblée, s'appuyaient principalement sur les changements de situation matérielle d'un détenu, pour ouvrir le recours d'excès de pouvoir à une mesure d'ordre intérieure. [...]
[...] C'est donc à la fin de l'année 2005 que l'administration française commence à se conformer à l'article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, relatif au droit à un recours effectif. De plus, cette décision prolonge positivement la décision Ramirez Sanchez contre France de la Cour européenne des droits de l'homme du 27 janvier 2005 qui condamnait la France pour défaut de recours effectif à l'encontre d'une décision de prolongation d'isolement carcéral. La jurisprudence Sieur Kayanakis de l'année 1967, rendu par le Conseil d'Etat, qui qualifiait un transfèrement d'une maison centrale vers une maison d'arrêt en mesure d'ordre intérieur, insusceptible de faire l'objet d'un contrôle de légalité, semble donc être abandonnée. [...]
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