L'arrêt de la deuxième chambre civile du 24 février 2005 nous donne l'occasion de revenir sur la délicate question de la mise en oeuvre du principe du contradictoire en matière d'expertise judiciaire, et plus particulièrement en ce qui concerne la pratique du pré-rapport.
Les faits de l'espèce sont assez simples. Une expertise judiciaire est ordonnée par le juge, qui précise dans son ordonnance que l'expert doit « au cours d'une ultime réunion (...) informer les parties du résultat de ses opérations, en les invitant à présenter leurs observations écrites dans un délai de 30 jours ». En d'autres termes, le juge ordonnait à l'expert judiciaire de remettre aux parties un pré-rapport, afin que celles-ci puissent lui faire part de leurs observations, au moyen de « dires », dans un délai de trente jours à compter de cette remise. Pourtant, l'expert ne respectant pas cette obligation qui lui avait été faite par le juge, rend son rapport définitif sans remettre préalablement aux parties un pré-rapport. Le demandeur, insatisfait des conclusions de l'expert judiciaire, tente alors d'obtenir la nullité de l'expertise. Les juges du fond rejettent cette demande, estimant que le principe du contradictoire n'a pas été violé car les parties avaient eu la possibilité de contester les conclusions de l'expert devant le juge. Du fait, l'irrégularité invoquée n'était selon eux qu'une irrégularité de forme, nécessitant l'existence d'un texte et d'un grief, ce que le demandeur ne pouvait soutenir. Ce dernier se pourvoit en cassation,.
Les conseillers de la Haute Cour doivent ainsi dire si le non-respect par l'expert judiciaire de sa mission qui lui impose de remettre aux parties un pré-rapport est constitutif d'un simple vice de forme ou s'il s'agit d'une violation du principe contradictoire et donc d'un vice de fond.
La Cour de cassation retient dans sa décision cette dernière solution en considérant que les juges du fond, en rejetant la nullité du rapport de l'expert, ont violé les articles 16, 237 et 265 du NCPC.
Cet arrêt nous donne ainsi l'occasion d'envisager le principe du respect du contradictoire sous l'angle de l'expertise judiciaire (I), dont le contrôle doit être assuré par les juges (II).
[...] Lorsque la vérité que l'expertise doit révéler n'est que subjective, c'est-à-dire issue de la discussion des parties, le juge peut tout de même utiliser un rapport rendu à l'issue d'une discussion imparfaite ; et lorsque la vérité est objective, comme en matière d'analyse génétique, le juge ne peut pas se servir du rapport en raison d'un vice de méthode pour obtenir la vérité, mais d'un vice de procédure qui apparaît alors sans grande importance. La variété des domaines d'expertise judiciaire devrait ainsi conduire à plusieurs types de sanction. [...]
[...] Or la discussion devant l'expert n'est possible que s'il existe un échange entre lui et les parties. Si pendant les réunions d'expertise, les parties ont l'occasion de faire valoir leur point de vue de l'expert qui doit provoquer la contradiction des parties ne peut être connu d'elles que par la remise d'un pré-rapport. C'est pourquoi, cette pratique est aujourd'hui largement établie. Il appartient alors à l'expert de consigner chacune de ces étapes dans son rapport pour prouver que le principe de la contradiction a été respecté. [...]
[...] si la contradiction fait défaut à l'égard de toutes les parties, l sanction retenue est la nullité de l'expertise. C'est la sanction qui a été retenue en l'espèce. Le juge ne peut alors fonder sa décision sur le seul rapport d'expert. Toutefois, il peut puiser dans le rapport des renseignements s'ils sont corroborés par d'autres éléments dont il soit faire connaître la nature et la valeur et si le rapport a été régulièrement versé au débat contradictoire des parties. Il apparaît ainsi que l'efficacité de la sanction est à géométrie variable. [...]
[...] C'est ce qui fut fait en l'espèce, une expertise judiciaire ayant été ordonnée par le juge. De quelle façon doit alors se dérouler la discision des parties lorsqu'une expertise judiciaire a été ordonnée ? En l'espèce, aucun pré-rapport n'avait été remis aux parties. Les juges du fond ont considéré, s'appuyant sur la jurisprudence classique de la Cour de cassation (Civ. 2e mars 1998) que le débat avait été contradictoire car les parties avaient été en mesure de discuter l'avis de l'expert dans leurs conclusions. [...]
[...] Dès lors deux lectures de l'arrêt sont possibles. Soit on considère que la Cour de cassation a visé l'article 16 pour étendre pleinement le principe du respect du contradictoire à l'expertise judiciaire, soit on considère que ce visa n'a d'autre fin que de faire du non-respect de sa mission par l'expert un vice de fond, pour permettre al nullité alors même qu'il n'existe pas de texte, ni même de grief. Il est peut-être encore trop tôt pour se prononcer sur la position qu'adoptera la Cour de cassation. [...]
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