Selon G. LE BON, dans Hier et Demain, « L'anarchie est partout quand la responsabilité n'est nulle part ». A l'inverse, tout ramener à la responsabilité peut mener à la discorde au sein d'une société. Actuellement, cette notion de responsabilité est fondamentale dans nos sociétés. La recherche de responsables est devenue un « sport » national, voire mondial. En Droit, cette notion a une importance capitale car, en cas de dommage, il faut, en général, un responsable pour être indemnisé. Cette dérive de nos sociétés occidentales, dites civilisées et éclairées, pose un certain nombre de problèmes.
En ce qui concerne les personnes physiques, la solution a rapidement été trouvée : il suffit que la personne soit dotée d'intelligence et de volonté pour pouvoir être tenue responsable de ses actes. Puis, est apparu le principe de la personnalité de la peine qui consiste simplement dans le fait d'admettre que toute personne ne peut être tenue responsable que de son fait personnel et donc que nul ne peut être condamné pour le fait d'autrui. Ce système assez simple ne pose pas de problème majeur.
Mais que penser de ces groupements de personnes physiques auxquels la loi reconnaît une existence juridique distincte de celles de leurs membres, qui disposent d'un patrimoine, de droits et d'obligations qui leur sont propres et que l'on appelle des personnes morales, du fait de leur existence fictive ? Le problème de leur responsabilité pénale a agité la doctrine pendant tout le XXème siècle et pose encore aujourd'hui un certain nombre d'interrogations.
En effet, certains problèmes ont été résolus à partir des années 1990, mais un point important pose encore problème et ce, malgré les réformes successives : l'interaction des responsabilités pénales respectives des personnes physiques et des personnes morales. Quelle doit être la relation entre ces deux responsabilités ? L'une peut-elle/doit-elle influencer l'autre ?
La jurisprudence de la Cour de Cassation nous permet d'illustrer la complexité de ce point et nous aide à poser les bonnes questions afin de démarrer notre réflexion.
Dans son arrêt du 23 mai 2006, un salarié fait une chute mortelle suite au déséquilibre de l'engin dont il dirige la nacelle. Une plainte pour homicide involontaire contre la société et un préposé est déposée au motif qu'un manquement à une obligation en matière de sécurité et de protection de la santé pouvait être reproché à la société. Le tribunal correctionnel condamne le salarié et relaxe la société. Le salarié et le Ministère Public interjettent alors tous les deux appel. La Cour d'appel confirme la culpabilité du salarié et condamne la société pour non respect des mesures de prévention et de sécurité car elle a reçu des courriers de l'Inspection du Travail lui demandant d'agir dans ce sens. Elle relève également l'insuffisance du nombre d'heures destinées à assurer le suivi technique de la mission de sécurité et de prévention, ce qui a contribué à la faute du salarié. La société se pourvoie alors en cassation.
Les faits et la procédure sont quasi-similaires dans l'espèce jugée, le 20 juin 2006, par la Haute Juridiction : un salarié fait une chute mortelle après avoir emprunté une plate forme métallique mise hors-service et dont la dangerosité n'était pas indiquée. Une plainte pour homicide involontaire est également déposée contre la société. Celle-ci est condamnée en première instance et ce jugement est confirmé par la Cour d'Appel. La société se pourvoie alors en cassation au motif que la responsabilité pénale de la personne morale est une responsabilité par représentation. Les juges devaient donc rechercher la faute de l'organe ou du représentant de celle-ci.
Le problème posé à la Cour de Cassation dans les deux arrêts est le fait de savoir quelles responsabilités pénales retenir. Cela peut paraître étrange mais les juges vont donner deux réponses différentes. Dans la première espèce, ils cassent l'arrêt d'appel au motif que les juges du fond n'ont pas vérifié si les manquements pouvaient être imputés à l'organe ou au représentant de la société. Donc, seule la personne physique est condamnée. Ils n'ont pas vérifié si les conditions d'application de l'article 121-2 du Code Pénal étaient bien remplies en l'espèce. Et dans le second arrêt, ils rejettent le pourvoi de la société au motif que l'on peut condamner une société sans préciser l'identité de l'auteur des manquements constitutifs du délit. Selon eux, l'infraction n'a pu être commise que par un organe ou représentant de la société. Donc, seule la personne morale est condamnée.
Ces arrêts dont une analyse plus précise sera effectuée ultérieurement démontrent tout de même l'ambiguïté de la position de la Cour de Cassation sur cette question de l'interaction des responsabilités de la personne morale et de la personne physique. Il semble surtout important de relever cette incohérence, avant d'examiner les conséquences possibles de ces arrêts.
En effet, la question de la responsabilité pénale des personnes morales est une question débattue depuis très longtemps dont un des points centraux est le fait de savoir comment l'articuler avec la possible responsabilité des personnes physiques, lors d'une même procédure.
Il y a quatre possibilités : la responsabilité exclusive de la personne physique ou de la personne morale ou un cumul, automatique ou alternatif, entre ces deux responsabilités.
Il faudra partir de cette constatation pour démontrer en quoi la question de l'interaction des responsabilités pénales des personnes physiques et morales est compliquée, sujette à discussion et évolutive. En effet, le législateur a essayé d'apporter différentes solutions pour résoudre de la meilleure des façons possibles ce problème. Il apparaît assez rapidement qu'aucune des propositions faites depuis cent ans ne soit entièrement satisfaisante du fait de l'opposition des points de vue quant aux nécessités de l'adaptation du Droit à son époque et du fait des applications de la pratique, qui entretiennent une situation illisible.
Il semble important pour s'en rendre compte d'analyser successivement les grandes phases de cette évolution. On peut observer un lent processus de responsabilisation de la personne morale entre le début du siècle et le milieu des années 1990. Après avoir démontré que la situation antérieure au Code Pénal était totalement injuste et méritait donc une évolution (Section 1), il nous faudra exposer en quoi les réponses apportées en 1994 étaient ambiguës et ont donné lieu à une pratique non homogène par les juridictions (Section 2). Enfin, nous évoquerons la situation actuelle suite aux lois du 10 juillet 2000 et du 9 mars 2004 qui mettent de plus en plus fréquemment en cause la responsabilité pénale des personnes morales, au bénéfice de celle des personnes physiques (Section 3).
[...] On est alors en présence d'une responsabilité pénale indirecte. De même, la jurisprudence accepte depuis longtemps de condamner une personne morale lorsque, pour réprimer une infraction matérielle, la loi désigne l'auteur par sa qualité juridique (par exemple celles de propriétaire ou d'employeur). Cette qualité peut alors être celle d'une personne morale : par exemple, l'article 1780 du Code Général des Impôts impute au propriétaire de marchandises le non payement de certains droits fiscaux.[6] Ce propriétaire peut très bien être une personne morale : l'amende prononcée est alors à la charge de celle-ci. [...]
[...] Seules sont poursuivies les personnes morales . ou les personnes physiques.[12] Il semble donc que les objectifs recherchés par le législateur ont bien été atteints. En témoignent ces chiffres rassemblés par F. DESPORTES[13] : * Le premier chiffre étant le nombre de procédures et le second celui du nombre de PP Le pouvoir d'opportunité des poursuites des personnes physiques par le Ministère Public et l'appréciation de la nécessité de leur condamnation par les juges du fond se révèlent très importants. [...]
[...] Donc, seule la personne morale est condamnée. Ces arrêts dont une analyse plus précise sera effectuée ultérieurement démontrent tout de même l'ambiguïté de la position de la Cour de Cassation sur cette question de l'interaction des responsabilités de la personne morale et de la personne physique. Il semble surtout important de relever cette incohérence, avant d'examiner les conséquences possibles de ces arrêts. En effet, la question de la responsabilité pénale des personnes morales est une question débattue depuis très longtemps dont un des points centraux est le fait de savoir comment l'articuler avec la possible responsabilité des personnes physiques, lors d'une même procédure. [...]
[...] Deuxièmement, on peut noter que, de façon il est vrai exceptionnelle, la responsabilité pénale des personnes morales pourra limiter celle des personnes physiques, cette fois-ci, en matière d'infractions intentionnelles. C'est l'hypothèse de l'infraction résultant du vote à bulletin à secret par l'organe représentatif d'une personne morale qui ne pourrait être reprochée à aucune personne physique personnellement. Autrement dit l'agent d'exécution ignore le caractère délictueux de la décision. On ne pourra rien lui reprocher faute d'élément intentionnel mais par contre la personne morale pourra être condamnée pénalement. [...]
[...] DESPORTES, Rapport de la Cour de Cassation Etude sur la responsabilité - Elargissement jurisprudentiel du domaine d'application de la responsabilité pénale des personnes morales par J-C. PLANQUE, D Jurisprudence, p - Crim mai 2006 et 20 juin 2006, Droit Pénal, Comm. n°128 - Faute de loi . se contentera-t-on de circulaire ? (à propos de la généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales) par C. PLANQUE, D Chron., p - Généralisation de la responsabilité pénale des personnes morales : présentation de la circulaire Crim-06-3/E8 du 13 février 2006 par H. [...]
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