Magistrat, enseignant et chercheur à l'école nationale de la magistrature, Denis Salas est secrétaire général de l'Association pour l'histoire de la justice. Il a publié plusieurs essais sur la justice dont Le Tiers Pouvoir (2000) et La République pénalisée (1996). Dans La Volonté de punir, il souhaite analyser la sévérité croissante des peines infligées par la justice française qui a pour origine le défi du terrorisme, la montée de l'insécurité, l'augmentation des condamnations pour crimes sexuels et le durcissement du Code pénal.
Plus que de dénoncer une éventuelle dérive sécuritaire ou d'une réponse inadaptée au crime (dont le principe n'est guère contestable), Denis Salas souhaite davantage montrer les risques d'excès de cette réponse qui peut en ruiner la légitimité et, souvent, l'efficacité. La société «sur-réagit » en effet aux agressions supposées et se développe un populisme pénal. Il se caractérise par un discours qui appelle à punir « au nom» des victimes bafouées et « contre » des institutions disqualifiées et il n'est pas l'apanage des partis extrêmes. Trois systèmes (médiatique, judiciaire, politique) façonnent un « peuple-émotion » qui envahit l'espace public: à coté de la justice qui lui donne son langage, les médias mettent en récit l'émotion collective et le discours politique y mêle ses propres réponses. L'exacerbation de la réaction sociale lorsque des infractions graves sont commises, invocation à un peuple imaginaire, provoque, selon l'auteur, une paralysie des médiations démocratiques. Longtemps silencieuse, la victime vient au devant de la scène au point d'occulter la situation du coupable. La délinquance est isolée du délinquant lui-même, elle devient le «mal» qui inspire la peur, l'insécurité et fait courir des risques.
[...] C'est essentiellement la délinquance contre les biens (vols) qui s'accroît le plus, et la réponse pénale n'est pas suffisante pour inverser la tendance (aucune police ou justice ne peut pallier l'échec des autres formes de contrôle social, moral, éducatif qui explique également cette augmentation). Dans le monde, les pays qui ont la police la plus importante ont également les plus forts taux de délinquance. Prenant l'exemple de la toxicomanie, D. Salas montre que la guerre contre la drogue qui consiste à emprisonner les consommateurs est très insuffisante pour réduire cette délinquance. Des prises en charge médicales (sevrages, produits de substitution) doivent être envisagées pour tarir le marché de l'offre illégale. [...]
[...] La réponse pénale à la petite et moyenne délinquance doit être rapide et claire, ce qui, en pratique, favorise les sanctions sévères. Le nombre de procédures de comparutions immédiates s'accroit en 2002) et la création du plaider-coupable en 2004, évite même le procès pénal puisque le prévenu acquiesce ou non à la peine proposée par le procureur, l'avocat ayant alors un rôle de conseil plus que de défense. La représentation même de la délinquance évolue : l'intervention souhaitée de la police des qu'un incident mineur ou une petite infraction est constatée aboutit à une nécessaire réponse pénale (théorie dite de la vitre cassée qui affirme qu'il faut sanctionner - même légèrement - toute infraction même mineure, y compris les incivilités, pour éviter que ne se multiplient des infractions plus graves susceptibles de transformer la ville en jungle terrifiante). [...]
[...] La justice est créditée de pouvoirs qu'elle ne possède pas : elle peut sanctionner l'auteur des faits et fixer une indemnisation pour la victime mais elle ne peut l'aider à se reconstruire. Elle n'est qu'un piètre auxiliaire thérapeutique. La condamnation de l'auteur aurait, selon certains discours politiques, des effets presque magiques d'apaisement des malheurs collectifs. Cette croyance explique la volonté de punir du législateur, particulièrement après la médiatisation de faits divers qui marquent l'opinion. Par le durcissement de la loi, il apporte alors la marque solennelle d'un engagement dans la lutte contre le mal. [...]
[...] En outre, la montée de partis d'extrême droite puissants dans plusieurs pays européens (France, Autriche, Pays-Bas, Belgique) amène les gouvernements à intégrer la thématique de ces partis sur l'insécurité. Le temps des victimes La victime ordinaire n'est ni visible ni reconnue, rappelle Denis Salas. Tout le système pénal est construit historiquement sans elle, voire contre elle. Au cours de l'enquête et à l'audience, elle trouve difficilement sa place. Pourtant, quand la victime dit sa souffrance, il est évident que le juge ne peut considérer que c'est seulement la loi qui est atteinte par l'infraction. [...]
[...] L'Etat se place en position dominante face à un auteur d'infraction isolé. Dans le procès pénal, il se substitue aux plaignants dans le rôle d'accusateur et de juge. L'Etat s'érige seul juge des comportements qu'il a préalablement définis. Quand un individu fait un tort à un autre, il y a toujours a fortiori un tort fait à la souveraineté, à la loi, au pouvoir. (Michel Foucault) Le procès assure la mise en scène de cette puissance souveraine. Mais, pour la victime, l'agression est un malheur avant d'être une infraction. [...]
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