Les personnes morales sont devenues dans notre société moderne une composante majeure et quotidienne, de façon qu'elles constituent notre environnement économique, industriel et social. Leur montée en puissance dans la société a eu pour effet qu'elles se sont engagées sur la route criminelle, à l'instar des personnes physiques. Il fallait donc reconnaître que ces personnes morales constituent en droit pénal une réalité criminologique comme les personnes physiques.
Mais mettre en œuvre leur responsabilité pénale n'a pas été aussi simple que cela : en effet, hormis le Royaume-Uni qui connaît de la responsabilité pénale des personnes morales depuis le milieu du 19ème siècle, cette reconnaissance dans les autres pays européens est assez récente. Le principe était l'irresponsabilité des personnes morales, exprimée par la maxime "societas delinquere non potest". Les différentes doctrines européennes considéraient que le groupement était une fiction juridique incapable de volonté personnelle (condition indispensable à la responsabilité pénale) et qu'une peine ne pouvait se concevoir qu'à l'encontre des personnes physiques. Cette responsabilité était même parfois présentée comme portant atteinte au principe de la personnalité des peines en ce qu'elle avait pou effet de punir indistinctement tous les membres d'un groupement y compris ceux qui n'avaient pas voulu la commission de l'infraction.
La reconnaissance progressive de la responsabilité pénale de la personne morale tient à plusieurs raisons.
La première raison est pratique et résulte du fait que dans les entreprises à structure complexe, il est malaisé, sinon impossible, de déterminer l'individu qui est à l'origine de l'infraction alors que ces entreprises sont l'occasion de dommages considérables (accidents de chemin de fer, pollution, atteintes à la concurrence…).
La seconde raison nous vient du droit européen, précurseur en matière de responsabilité pénale des personnes morales. En 1988, le Comité des Ministres du Conseil de l'Europe s'est exprimé en faveur d'une telle responsabilité dans une Recommandation concernant "la responsabilité des entreprises personnes morales pour les infractions commises dans l'exercice de leurs activités". Même si cette Recommandation n'a aucune valeur contraignante et que le législateur national reste souverain quant au choix du type de responsabilité pénale qu'il veut instaurer, la plupart des législations européennes se sont inspirées de ce texte lorsqu'elles ont instauré la responsabilité pénale des personnes morales au sein de leur arsenal législatif.
Ce texte préconise que la personne morale devrait être responsable sans que l'on ait besoin d'identifier la personne physique qui a commis les faits ou omissions constitutifs de l'infraction et sans qu'il soit nécessaire qu'elle ait tiré ou qu'elle ait pu tirer un avantage ou un profit de la situation. Il considère en outre que la personne morale devrait être responsable même lorsque l'infraction est étrangère à l'objet de la personne morale : la responsabilité pourra donc être retenue même si la personne physique a agi en dehors des limites des ses attributions. Cette Recommandation affirme également que ne peuvent être responsables que les entreprises dotées de la personnalité juridique et que cette responsabilité s'applique aussi bien aux personnes morales de droit privé qu'aux personnes morales de droit public pour autant que ces dernières exercent des activités économiques. Le Conseil de l'Europe reconnaît le principe du cumul de responsabilité entre personne physique et personne morale si les personnes physiques exercent des fonctions de direction. Cela semble signifier qu'entre une personne morale et un simple employé, le principe serait le non-cumul. En ce qui concerne les infractions susceptibles d'être commises par une personne morale, le Conseil de l'Europe ne s'est pas prononcé clairement : il ne parle que " d'infractions pénales qui occasionnent un préjudice considérable tant aux particuliers qu'à la société" et "d'infractions commises dans l'exercice de l'activité de la personne morale, même lorsque cette infraction est étrangère à l'objet de l'entreprise". Il est donc difficile de déduire de cette disposition si le Conseil de l'Europe a opté pour le principe de spécialité ou pour le principe de généralité. Cette Recommandation énumère enfin les différentes sanctions qui pourraient être infligées à la personne morale et qui doivent être adaptées aux spécificités de l'entreprise (fermeture, dissolution, amende, interdiction d'exercer une certaine activité pendant un certain temps, confiscation des biens utilisés pour la commission de l'infraction, destitution de certains dirigeants…). Elle propose de situer ces sanctions au niveau pénal quand la nature de l'infraction, la gravité de la faute de l'entreprise, les conséquences pour la société et la nécessité de prévenir d'autres infractions l'exigent et de les situer au niveau administratif en les soumettant à un contrôle judiciaire quand le comportement illicite n'exige pas que l'auteur de l'infraction soit traité comme un criminel.
Enfin, un arrêt de la CJCE, en date du 2 octobre 1991 a décidé que "ni l'article 5 du traité CE, ni l'article 17 §1 du règlement n°3280-85 n'obligent un Etat membre à introduire dans son droit national […] la responsabilité pénale des personnes morales." Interprétée a contrario, cette décision semble signifier qu'un Etat pourrait admettre cette responsabilité.
Aujourd'hui quels sont donc les Etats autres que la France qui admettent la responsabilité pénale des personnes morales ? Quelles sont les raisons invoquées par ceux qui ne l'admettent pas ? Quelles sont les différences et points communs entre la responsabilité pénale des personnes morales en France et celle des législations européennes ?
Pour cela, il conviendra de voir dans une première partie que la reconnaissance de ce principe n'est pas universelle dans la mesure où quelques pays européens ne la connaissent pas encore (I) avant de s'intéresser dans une seconde partie aux différentes législations européennes qui reconnaissent ce principe. (II)
[...] La raison avancée est que cela permet de punir directement les personnes physiques qui composent le groupement alors que quand on condamne un groupement doté de la personnalité juridique, c'est son patrimoine qui sera directement atteint si sa responsabilité est retenue. Le droit français a une position plus tranchée : il rejette la responsabilité des personnes morales sans personnalité juridique. Ainsi les sociétés de fait et les sociétés en participation des articles 1871 et 1873 du Code Civil ne peuvent pas être poursuivies. [...]
[...] Cependant même si ce droit n'a pas listé les différentes sanctions applicables, on remarque à la lecture de l'article condition qu'elles entrent en ligne de compte") que le législateur néerlandais a quand même insisté sur le fait que les sanctions données par le juge doivent s'adapter aux spécificités de la personne morale. En fin, il faut préciser que ces 4 droits prévoient d'imposer des mesures de sûreté à l'encontre de la personne morale. Sur ce point, les droits français et belges sont les plus satisfaisants. En adoptant un principe de spécialité, les sanctions appliquées aux personnes morales sont adaptées à leur spécificité. [...]
[...] Cette solution est logique car si l'amende était fixée en considération du lien entre personne physique et personne morale, la peine perdrait son caractère dissuasif car la personne physique sachant que la personne morale devrait payer leur amende, ne seraient pas dissuadées de commettre des infractions. Un autre problème se pose en matière de droit de l'environnement quand un tribunal impose une remise en état ou une restauration. Cette obligation ne peut s'adresser qu'à l'entreprise, mais le responsable pénalement est la personne physique qui a commis la faute. [...]
[...] On a prétendu ensuite que les buts de la peine cadrent mal avec la responsabilité pénale des personnes morales, la fonction d'amendement, si essentiellement n'ayant ici guère de sens. Cependant, on peut répondre à cela que la peine a également une fonction d'intimidation et de prévention, parfaitement compatible avec la nature du groupement (ex. le prononcé d'une forte amende, l'affichage du jugement qui occasionne une mauvaise publicité peuvent inciter les dirigeants des personnes morales a respecter la loi pour ne pas avoir à connaître les désagréments d'une condamnation judiciaire ultérieurement). [...]
[...] En droit français, l'art 121-2 CP parle d'infractions commises par ses organes ou représentants. Les organes sont, par exemple, l'Assemblée Générale, le Conseil d'Administration, le directoire et les représentants sont des individus déterminés comme le gérant, le maire, le directeur général, c'est-à-dire des personnes disposant d'un certain pouvoir. Les conceptions anglaises et françaises semblent restrictives car elles limitent l'engagement de la responsabilité de la personne morale aux personnes physiques qui disposent des plus grands pouvoirs au sein de la personne morale. [...]
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