« L'histoire juridique de l'Etat en Occident est celle de la programmation de son innocence au criminel » a écrit Yan Thomas à l'occasion du procès de Maurice Papon. Ceci confirme la tradition du droit occidental selon laquelle « en droit, les Etats sont innocents ».
Les auteurs du 19ème siècle enseignaient que la responsabilité pénale sanctionne uniquement un acte individuel, celui d'une personne physique : le délinquant. Or, le développement constant du nombre des personnes morales et l'augmentation corrélative du nombre d'infractions commises par elles, ont conduit les juristes à s'interroger sur l'opportunité d'instituer une responsabilité pénale des groupements.
Ainsi, les personnes morales sont devenues une réalité et il est apparu possible de poser le principe de leur responsabilité. Ce sera chose faîte avec le code pénal de 1994.
Cette responsabilité des personnes morales admises, il convient de s'interroger sur la nature juridique de l'état.
L'Etat est un groupement humain fixé sur un territoire déterminé et sur lequel une autorité politique exclusive s'exerce. Selon monsieur Cornu, « l'état est une entité juridique formée de la réunion de trois éléments constitutifs (population, territoire, autorité politique) et à laquelle est reconnue la qualité de sujet du Droit international »
La personnalité de l'Etat a été nécessitée par l'abandon de la monarchie et de la « dépersonnalisation » du pouvoir qui s'en est suivie. De plus, la Nation souveraine devait disposer de structures permanentes pour exprimer sa volonté de façon durable. La personnalité morale s'impose donc aux juristes comme le support utile, voire indispensable de l'Etat moderne.
Selon Carré de Malberg, « l'Etat est un être de droit en qui se résume abstraitement la collectivité nationale ». De cette citation, Jean Gicquel, dans son ouvrage de droit constitutionnel, établit qu' « un être de droit, et non de chair et de sang, porte le nom de personne morale par opposition à une personne physique ». Il ajoute qu' « il s'agit d'une construction juridique destinée à prendre en charge, de façon permanente, les intérêts d'un groupe humain, indépendamment des personnes physiques qui agissent au nom de l'Etat ». Il n'en dit pas plus, il est clair pour lui que l'Etat est une personne morale et la majorité des auteurs ne se pose pas non plus de questions sur ce fait.
Selon Maurice Hauriou, l'Etat moderne aurait acquis cette qualité de personne morale en deux étapes. Dans un premier temps, l'effort vers la liberté politique a d'abord organisé l'Etat en un corps constitué, doté d'une constitution déterminant le statut des gouvernants ainsi que la séparation des pouvoirs. Mais en même temps « il faut encore qu'à l'intérieur de ce corps se manifeste un caractère moral ; c'est grâce à un nouveau développement de la liberté politique que cette manifestation va se produire ».
La responsabilité pénale, principe fondamental du droit pénal, implique que la répression ne peut être exercée qu'à l'encontre des personnes responsables.
En droit pénal, la responsabilité correspond à l'obligation de répondre ou de rendre compte de ses actes délictueux en subissant une sanction pénale dans les conditions et selon les formes prescrites par la loi.
La responsabilité pénale des personnes morales, qui constitue l'une des innovations les plus remarquables introduites dans le code pénal en 1994, a été instituée pour renforcer l'efficacité de la répression et permettre une imputation plus juste des responsabilités.
L'article 121-2 du Code pénal qui prévoit cette responsabilité dispose que : « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ».
Cet article n'affirme pas qu'une personne morale puisse commettre une infraction mais il définit les conditions dans lesquelles une infraction commise pour son compte par une ou plusieurs personnes physiques, ayant la qualité d'organes ou de représentants, peut être imputée à celle-ci.
Cette introduction de la responsabilité pénale des personnes morales dans le Code pénal de 1994 est une innovation. En effet, auparavant, l'irresponsabilité prévalait. Ainsi, jusqu'à l'entrée en vigueur de la réforme du Code pénal le 1er mars 1994, les personnes morales n'encouraient qu'une responsabilité civile et, dans certains cas, disciplinaire ou administrative. Elles ne pouvaient pas être déclarées pénalement responsables.
Progressivement, cette responsabilité s'est forgée dans les esprits ce qui a amené le Conseil Constitutionnel dans sa décision 143 DC du 30 juillet 1982 à affirmer « qu'aucun principe constitutionnel ne s'opposait à ce qu'une amende puisse être infligée à une personne morale ». Dans sa décision 399 DC du 5 mai 1998 la Haute Juridiction a expressément énoncé que les objectifs poursuivis par le législateur « peuvent notamment justifier un régime de sanctions pénales applicables tant aux personnes physiques qu'aux personnes morales ».
Si l'article 121-2 alinéa 1er du Code pénal consacre la responsabilité pénale des personnes morales de droit public et de droit privé, il énonce clairement une exception à ce principe : l'exclusion de l'Etat du champ d'application de la responsabilité pénale des personnes morales. L'Etat est donc la seule personne morale à qui la loi accorde une immunité totale en l'excluant du domaine de la répression des personnes morales.
Le refus de la responsabilité pénale de l'Etat ressortait déjà depuis longtemps de la jurisprudence qui refusait dès 1848 d'opposer à l'Etat une sanction pénale même si elle admettait la possibilité de condamner l'Etat à des dommages et intérêts (cass.crim. 11 août 1848).
Cette exclusion de l'Etat de la responsabilité pénale des personnes morales de droit public et de droit privé est-elle justifiée ?
Pour répondre à cette interrogation, il semble opportun dans une première partie de souligner que l'exclusion de l'Etat du domaine d'application de la responsabilité pénale des personnes morales ne semble pas justifiée. La seconde partie sera consacrée à l'éventuel régime de responsabilité pénale de l'Etat qui pourrait être créé.
[...] La personnalité morale s'impose donc aux juristes comme le support utile, voire indispensable de l'Etat moderne. Selon Carré de Malberg[4], l'Etat est un être de droit en qui se résume abstraitement la collectivité nationale De cette citation, Jean Gicquel, dans son ouvrage de droit constitutionnel, établit qu' un être de droit, et non de chair et de sang, porte le nom de personne morale par opposition à une personne physique Il ajoute qu' il s'agit d'une construction juridique destinée à prendre en charge, de façon permanente, les intérêts d'un groupe humain, indépendamment des personnes physiques qui agissent au nom de l'Etat Il n'en dit pas plus, il est clair pour lui que l'Etat est une personne morale et la majorité des auteurs ne se pose pas non plus de questions sur ce fait. [...]
[...] J. Gicquel, Droit constitutionnel et institutions politiques, Domat public, Montchrestien, 17ème édition F. Linditch, Recherche sur la personnalité morale en droit administratif, bibliothèque de droit public, Tome LGDJ. Georges Dellis, Droit pénal et droit administratif, l'influence des principes du droit pénal sur le droit administratif répressif, Bibliothèque de droit public, tome 184, LGDJ. Bernard Ferrier, Une grave lacune de notre démocratie : l'irresponsabilité pénale des personnes administratives, Rev. Sc. Crim p.395. G. [...]
[...] Au niveau de la responsabilité éventuelle de l'Etat, ce principe semble poser des difficultés. En effet, la sanction pénale pourrait alors se répercuter sur l'ensemble des citoyens. Cet argument est utilisé par rapport à la peine d'amende, outre le fait qu'il semblerait étrange et inutile que l'Etat se paie une amende à lui-même, cette amende serait de plus assumée par l'ensemble des contribuables, y compris la victime de l'infraction, ce qui constituerait une atteinte au principe de personnalité des peines. [...]
[...] Le monopole étatique de la répression. L'exclusion de la responsabilité de l'Etat s'expliquerait également par le rôle confié à l'Etat dans l'exercice de la répression, la question habituellement posée étant : Comment concevoir que l'Etat se réprime pénalement lui-même ? Monsieur Guérin[9] affirme même qu' on ne voit pas comment un juge pourrait condamner l'Etat au nom du peuple français. Ce serait une atteinte aux principes de la continuité des institutions républicaines Pourtant, Monsieur Picard[10] explique que, par le biais du Conseil d'Etat ou du Conseil constitutionnel, l'Etat s'auto sanctionne déjà. [...]
[...] En effet, sont exclues du domaine de compétence du juge répressif, les décisions des autorités administratives dans les matières réservées par nature à l'autorité judiciaire Or, l'exécution du service public de justice judiciaire fait partie de ces domaines, donc la justice pénale, comme la justice civile ne peut pas être rendue par le juge administratif sous peine d'enfreindre ouvertement le principe de séparation des pouvoirs Les juridictions spéciales Pourrait-on engager la responsabilité pénale de l'Etat devant la Cour de justice de la République ou encore devant la Haute Cour de justice ? La Cour de justice de la République est une juridiction chargée de juger les crimes et délits commis par les membres du gouvernement dans l'exercice de leurs fonctions. C'est la responsabilité pénale personnelle des membres du gouvernement qui peut être jugée devant cette Cour et non celle de l'Etat. Actuellement cette Cour ne peut pas statuer sur la responsabilité pénale de l'Etat. [...]
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