Demander le pardon, c'est vouloir s'excuser du passé ; l'accorder, c'est vouloir croire en l'avenir.
Les parents des victimes des attentats à Madrid peuvent-ils pardonner aux terroristes d'Al-Qaïda qui ont fait sauter des bombes dans la capitale espagnole? Les Palestiniens peuvent-ils fermer les yeux quand les Israéliens les isolent derrière un mur? Les morts d'Irak doivent-ils être vengés ou doit-on pardonner à leurs assassins?
Si le pardon n'est pas toujours facile à demander, il n'est guère plus aisé à octroyer. Cette notion par essence morale et connue de toutes les sociétés implique de savoir vivre en communauté et de savoir faire des concessions ; concession de l'offenseur qui reconnaît avoir eu un mauvais comportement ; concession aussi de l'offensé qui se refuse à répliquer à cette offense par une autre toute aussi, voire plus encore, condamnable.
Pardonner, c'est en effet renoncer, refuser de punir une faute, de se venger d'une offense dont on a fait l'objet à titre personnel ou indirect, c'est-à-dire se refuser à être le dernier acteur d'une chaîne d'excès tous plus importants dans leur gravité les uns que les autres. Pardonner, c'est donc consentir à ne pas avoir le dernier mot ; c'est avoir de l'indulgence à l'égard du fautif, se refuser à entretenir une rancœur, une hostilité à son égard, autant de réactions que l'on estime parallèlement moralement condamnables. Si l'on s'interroge sur les spirales de violences qui se manifestent, aujourd'hui comme hier, au sein de notre société, on constatera qu'à l'origine, il n'existe aucune idée de pardon, simplement une envie de répondre avec une ampleur et par là même une violence toujours plus forte aux actes dont on a fait l'objet.
Si le pardon tend aujourd'hui à se banaliser, il n'en subsiste pas moins, à s'y attarder plus longuement, une valeur forte dans notre société.
Longtemps attaché à la religion, le pardon revêtait alors une valeur symbolique : c'est tendre l'autre joue à celui qui nous gifle au regard de la religion chrétienne ; c'est encore la fête du Yom-Kippour, ou fête du Grand Pardon dans la religion juive, où l'on prie pour obtenir le pardon des offenses commises envers Dieu. Pour autant que cette conception soit celle qui domine tous les esprits, il faut néanmoins rappeler qu'avant d'avoir une origine religieuse, le pardon, issu du bas latin per-donare, était un terme d'origine littéraire signifiant donner à quelqu'un sa dette.
Aujourd'hui, s'il conserve une symbolique forte dans le domaine de la religion compte tenu de l'association à laquelle on procède le plus souvent avec d'autres thèmes forts tels que la rédemption, le péché, l'absolution des fautes et bien d'autres encore ; ce terme de pardon s'est considérablement banalisé au point que l'on en fait usage quotidiennement, sans même parfois en avoir conscience. On demande ainsi pardon à la personne que l'on vient de bousculer par inadvertance dans le métro, l'on sollicite le même pardon lorsque pour des raisons diverses l'on arrive avec du retard à une réunion ; ou encore le cas de l'enfant qui demande pardon à ses parents pour la bêtise qu'il vient juste de commettre ; autant d'exemples qui démontrent que pour s'excuser d'une petite chose sans importance, on use parfois de ce terme à la valeur si forte qu'est le pardon.
Le pardon a ainsi perdu la valeur fondamentale qui était la sienne par le passé, pour s'assimiler aujourd'hui à un autre concept à la portée nettement moins symbolique qu'est celui de l'excuse. Demander pardon ou s'excuser sont deux acceptions aujourd'hui utilisées somme toutes assez indifféremment ; elles demeurent néanmoins toutes deux des concepts qui se rapprochent d'une certaine moralité qu'il est nécessaire d'avoir pour vivre en société, même si l'on constate à l'heure actuelle une certaine déperdition.
L'objectif ici n'est bien évidemment pas celui d'évoquer la notion de pardon au sens religieux du terme ; mais bien plus d'observer ce qu'il en est de son expression dans les domaines juridique et psychologique qui nous intéressent plus particulièrement.
En effet, le pardon nécessite une psychologie particulière, il implique de prendre sur soi les offenses dont on a pu par ailleurs faire l'objet. Chacun a ainsi sa propre conception du pardon, fruit de son expérience personnelle, de son histoire propre.
Ceci étant, cette notion de pardon doit recevoir une résonance particulière lorsqu'elle est associée au droit, et plus encore au droit pénal. Érigé afin de mettre à mal le système de vengeance caractéristique des temps anciens ; le droit pénal visait et, peut être aujourd'hui encore, vise toujours à réglementer cette vengeance au travers de règles. Non seulement il vise à éradiquer ce besoin naturel et primaire chez l'être humain en réprimant la commission d'infractions qui en est à l'origine ; encore vise-t-il à pallier ce besoin de vengeance en instaurant des règles visant à en réprimer l'auteur dans des conditions qui ne sont pas assimilables.
Ainsi le droit pénal ne laisserait-il a priori qu'une place infime, voire inexistante, à toute idée d'expression du pardon en son domaine. En effet, il apparaîtrait logique de croire que, lorsque la machine judiciaire, et plus encore la machine pénale, est en marche ; non seulement il est impossible de l'arrêter, mais aussi que cela constitue un refus très net d'octroi du pardon, de la victime d'abord, de l'ensemble de la société ensuite. Pourtant un psychologue avait un jour cette expression : « une société sans pardon est une société sans morale », et à reprendre notre expression précédemment citée une société qui refuserait tout pardon se refuserait parallèlement de croire en un éventuel avenir possible avec la personne se repentissant. Ainsi et aussi surprenant que cela puisse apparaître de prime abord, cette notion de pardon trouve à s'exprimer dans ce domaine spécifique qu'est le droit pénal. Témoignage ou non d'une preuve de moralité de la justice française en ce domaine, à s'en référer à l'expression évoquée, il est à noter que ce pardon s'exprime avec une évidence plus importante que celle que l'on soupçonne.
Présent dans l'ensemble du processus pénal, cette expression de moralité s'enserre dans un cheminement. Suite à la commission d'une infraction, la réaction première de toute victime va, le plus souvent, s'inscrire dans le cadre d'une vengeance, sentiment humain certes, mais en soi peu louable ; et la première phase de ce cheminement va conduire à s'interroger sur la façon dont la personne, et par ailleurs la société toute aussi concernée par la sécurité de ses citoyens, va pouvoir dépasser ce stade pour entrer dans une phase toute autre au terme de laquelle elle s'accorderait à octroyer le pardon (I). Témoin d'une évolution première, ce cheminement est encore susceptible de se poursuivre par l'effet du temps ; dès lors, il y a lieu de s'interroger sur le fait de savoir si ce pardon ne peut pas constituer un premier pas vers l'oubli si tant est que celui-ci soit possible (II).
[...] L'expiation serait-elle un préalable au pardon ? Cette réhabilitation peut être de droit ou encore judiciaire. Celle de nature légale présente un caractère automatique mais nécessite une attente relativement longue, et ce consécutivement à la gravité des faits commis ; elle exclut néanmoins les peines graves et suppose qu'aucune autre condamnation n'ait été prononcée. Cette forme de réhabilitation se conçoit donc comme une forme de pardon automatique et l'on peut même s'interroger sur le mérite que peut avoir le condamné à en bénéficier, on lui accorde un pardon alors qu'au fond de lui, il ne regrette peut-être en rien ce pourquoi il a été condamné. [...]
[...] Par ailleurs, l'étude du pardon invite à s'interroger sur un aspect. Il est communément admis par l'ensemble des juristes que le droit et la morale doivent être distingués ; si leurs chemins peuvent de temps à autre s'entrecroiser par l'émergence d'une volonté commune, une frontière doit néanmoins se dessiner entre ces deux notions. Or l'expression de ce sentiment moral qu'est le pardon et son immixtion progressive au sein du droit pénal ne tendent-elles pas à démontrer qu'une fois encore, droit et morale poursuivent un objectif commun ? [...]
[...] N'est-il pas courant d'entendre dire, lorsqu'un condamné quitte le milieu carcéral pour des faits qui avaient marqué à l'époque l'opinion publique: il a payé sa dette à la société. La peine, lieu d'expiation, en serait-elle également un lieu d'acquisition absolu du pardon ? Parallèlement, elle peut favoriser un pardon de la victime si celle-ci venait à prendre conscience des regrets exprimés par l'auteur des faits. Mais à l'issue de l'exécution de sa peine, le coupable est-il pour autant pardonné ? [...]
[...] Le pardon et le temps L'oubli et le pardon sont des notions intimement liées mais différentes. Analysons alors à quel moment ces deux notions peuvent être confondues et à quel moment doivent être différenciées. Peut-on pardonner avec le temps ? Pardonner n'est pas forcément oublier. Pour arriver à pardonner, certains pensent qu'il faut d'abord réussir à oublier. Mais à quoi sert la mémoire sinon à se rappeler D'autres pensent que l'on doit d'abord pardonner pour oublier. Le philosophe V. [...]
[...] Le pardon introduit une nouveauté, on peut le dater dans l'histoire d'une relation. Tandis que l'oubli, comme l'usure, avance à petits pas dans la mémoire ; il ne se décide pas, il se constate, passivement avec le temps. L'oubli efface le ressentiment de la colère et la volonté de vengeance, mais ce qui s'est passé n'est pas aboli. Le passé est irrémédiablement acquis. Cependant l'oubli apparaît parfois impossible car des éléments de faits entretiennent souvent la souffrance d'un passé Le 60ème anniversaire de la libération du camp de concentration d'Auschwitz en témoigne. [...]
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