Caustique observateur de notre société, Pierre Desproges avait déjà en son temps constaté qu' « entre une mauvaise cuisinière et une empoisonneuse il n'y a qu'une différence d'intention ». Si l'observation est perspicace, tout « pénaliste » qui se respecte ne pourra s'empêcher - bien malgré lui - d'y percevoir les résonnances du débat qui a fortement animé doctrine et jurisprudence sur l'élément moral dans le crime d'empoisonnement.
Défini à l'article 221-5 du Code pénal comme « le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort », l'empoisonnement reste une incrimination autonome au sein de la catégorie des atteintes volontaires à la vie ; incrimination qui se distingue, notamment selon Mme le Professeur Ghica-Lemarchand, par une « spécificité irréductible ». En effet, d'une part, l'empoisonnement étant une infraction extrêmement évolutive, son incrimination constitue toujours une réponse juridique adéquate et indispensable à bon nombre de situations criminelles. D'autre part, l'empoisonnement qui constitue, d'une certaine manière, le paradigme des infractions formelles, est matériellement caractérisé dès l'acte d'administration des substances mortifères, indépendamment du préjudice subi par la victime. Mais qu'en est-il de l'élément moral ? Est ici en réalité posée la question de l'autonomie de l'élément moral de l'empoisonnement par rapport à celui défini pour le meurtre : s'agit-il de l'intention de tuer - ou animus necandi -, comme pour le meurtre, ou d'un état d'esprit différent plus étroitement relié à la notion d' « attentat » énoncée par le texte d'incrimination ?
La Cour de cassation, sommée d'apporter une réponse claire à ces questions, exige aujourd'hui, outre la preuve d'un dol général, gage de l'autonomie de l'infraction d'empoisonnement (I), la preuve d'une intention homicide, opérant ainsi une restriction considérable du champ d'application de cette infraction (II). (...)
[...] Ce mécanisme a été entériné très tôt par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim juillet 1886), dans une espèce où une mère qui, souhaitant se séparer de son enfant, avait remis un flacon contenant du poison qu'elle présenta comme un médicament à sa belle sœur chargée de garder l'enfant, et en lui demandant des les lui administrer (même si ici, la belle sœur s'était aperçu du pouvoir toxique du produit, la mère ayant alors été poursuivie pour simple tentative d'empoisonnement). [...]
[...] Un certain nombre d'affaires, dont plusieurs ont été médiatisées, ont cependant fait naître une polémique. Fut ainsi posée la question de savoir si la connaissance du caractère mortifère des substances étant suffisante pour constituer l'élément moral ou s'il convenait d'établir l'élément supplémentaire de l'intention d'homicide à l'égard de l'empoisonneur II) Une politique criminelle restrictive à l'égard du champ d'application de l'incrimination l'empoisonnement : un glissement vers un droit vénal L'assertion prétorienne d'un dol spécial qui se traduit désormais par l'exigence d'un intention homicide a provoqué une restriction regrettable du champ d'application de l'incrimination d'empoisonnement au profit d'autres infractions L'assertion prétorienne d'un dol spécial : l'exigence de l'animus necandi Un certain nombre d'arguments ont été développés par une certaine doctrine moderne, afin de montrer que l'établissement d'un dol général nécessitait d'être complété par la preuve d'une intention homicide. [...]
[...] Ce décalage qui existe désormais entre les éléments constitutifs matériel et intentionnel de l'empoisonnement relève cependant davantage d'un compromis de politique criminelle que d'une analyse juridique objective. Comme le montre bien Mme le Professeur Ghica-Lemarchand, il y a ici assimilation de l'empoisonnement au meurtre qui paralyse la qualification autonome Cette confusion, qui inscrit la recherche du résultat dans les éléments constitutifs de l'empoisonnement - alors même que le résultat lui même est indifférent à sa qualification pénale - a fortement terni l'image du droit pénal, certains ayant même dénoncé un glissement du droit pénal vers un droit vénal qui confondrait les infraction naturelles et artificielles dans les affaires les plus marquantes du XXe siècle (Reinhard A., Droit pénal, droit vénal Cette nouvelle exigence a ainsi provoqué une modification des frontières de l'infraction d'empoisonnement. [...]
[...] Jusque dans les années 1990, la jurisprudence s'est quant à elle abstenue d'apporter son point de vue sur le débat doctrinal concernant la nécessité ou non de l'intention de tuer pour caractériser 1e crime d'empoisonnement. Tout au plus, on peut citer l'arrêt de la Cour de cassation en date du 18 juillet 1952 qui déclare qu'en l'espèce l'intention homicide est incontestable sans pour autant en faire un élément constitutif du crime d'empoisonnement. Avec l'affaire dite du sang contaminé, il est cependant devenu impossible, pour les juges, d'éluder la question. [...]
[...] Quel élément moral pour le crime d'empoisonnement ? Caustique observateur de notre société, Pierre Desproges avait déjà en son temps constaté qu' entre une mauvaise cuisinière et une empoisonneuse il n'y a qu'une différence d'intention Si l'observation est perspicace, tout pénaliste qui se respecte ne pourra s'empêcher bien malgré lui d'y percevoir les résonnances du débat qui a fortement animé doctrine et jurisprudence sur l'élément moral dans le crime d'empoisonnement. Défini à l'article 221-5 du Code pénal comme le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort l'empoisonnement reste une incrimination autonome au sein de la catégorie des atteintes volontaires à la vie ; incrimination qui se distingue, notamment selon Mme le Professeur Ghica-Lemarchand, par une spécificité irréductible En effet, d'une part, l'empoisonnement étant une infraction extrêmement évolutive, son incrimination constitue toujours une réponse juridique adéquate et indispensable à bon nombre de situations criminelles. [...]
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