« Sous le Principe de l'Utilité, on ne doit ranger parmi les délits que les actes qui peuvent être nuisibles à la Communauté ».
Cette assertion, placée en exergue du Chapitre VI du Traité de législation civile et pénale de J. Bentham est significative du lien étroit qu'entretiennent - ou que devraient entretenir - les diverses incriminations pénales avec le critère d'utilité.
Il semblerait en effet qu'aujourd'hui, n'en déplaise à ses détracteurs, l'école de pensée utilitariste ait largement triomphé, puisque l'idée selon laquelle « une bonne incrimination est une incrimination utile » domine sans conteste la doctrine pénale de notre temps. Devant le « succès » rencontré par un certain nombre de délits, d'aucuns se sont ainsi interrogés sur leur véritable pertinence, au regard notamment des grands principes du droit pénal général.
Le critère d'utilité, « transposé » au plan du droit pénal, peut donc en un certain sens être défini comme l'adéquation entre une incrimination donnée (et sa mise en oeuvre), avec ces grands principes (légalité des délits et des peines, interprétation stricte, etc).
L'abus de biens sociaux, « qualification à la mode » selon le professeur Maistre du Chambon, a nourri en la matière un certain nombre de craintes, notamment de par son utilisation excessive - véritable ou fantasmée - par les différents organes judiciaires. Un certain nombre de scandales surmédiatisés ont en outre contribué à sortir d'un « relatif anonymat » (selon le même auteur), une incrimination qui était apparue, quelque soixante dix ans plus tôt, comme un remède nécessaire aux insuffisances dont souffrait notamment le délit d'abus de confiance.
Siégeant aux articles L241-3 4° et L242-6 3° du Code de commerce, l'abus de biens sociaux est consommé lorsqu'un dirigeant social fait, de mauvaise foi, des biens ou du crédit d'une société, un usage qu'il sait contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles, ou pour favoriser une autre société ou entreprise, directement ou indirectement (...)
[...] La Chambre criminelle privilégie donc systématiquement l'abus de biens sociaux (punissable de cinq ans d'emprisonnement contre trois pour l'abus de confiance) lorsque les faits sont susceptibles de recevoir les deux qualifications. L'abus de confiance se trouve donc réduit à un rôle résiduel dans le cadre de la gestion des sociétés, limité aux détournements commis par des personnes qui ne sont pas visées par le délit d'abus de biens sociaux ou dont les structures ne sont pas concernées par cette infraction (il en est ainsi pour les dirigeants de sociétés en nom collectif, d'associations, etc.). [...]
[...] Ensuite, l'abus de confiance requérait - et requiert toujours - un détournement ou une dissipation, concepts qui diffèrent en réalité, de celui de simple usage répréhensible du bien. En outre, l'abus de confiance concerne les objets mobiliers corporels, or une société peut comprendre dans ses éléments d'actif des meubles incorporels, ou encore des immeubles. Enfin, si dans l'abus de confiance la remise doit avoir été effectuée en vue de faire un emploi ou un usage déterminé des biens remis, ce qui n'était pas systématiquement le cas dans les espèces où il s'agissait de sommes reçues de tiers avec qui la société allait contracter Le gouvernement, soucieux de résoudre ces difficultés dont pouvait résulter une relative impunité d'agissements pourtant moralement répréhensibles, a donc par la voie des décrets-lois du 8 août 1935 et du 30 octobre 1935, incriminé spécialement le délit d'abus de biens d'une société, de crédit, de pouvoirs et de voix, commis soit par un gérant de SARL, soit par les administrateurs. [...]
[...] Le dirigeant social, sujet de droit s'inscrivant dans le cadre de la législation d'affaires, n'a pas à être exclu du bénéfice de l'oubli auquel tout ressortissant a droit par essence. En qualité de délit instantané, l'abus de biens sociaux devrait ainsi voir sa prescription commencer à courir au jour de sa commission. Cependant, de l'attitude des juges qui n'ont cessé de retarder le point de départ de ladite prescription a résulté la création d'une véritable mécanique prescriptive prétorienne, à un point tel que le délit d'abus de biens fut considéré comme imprescriptible par la doctrine majoritaire. [...]
[...] Certes l'article 408 de l'ancien Code pénal ne faisait pas référence au contrat de société, mais la jurisprudence, au prix d'une interprétation extensive de la notion de mandat qui elle, y figurait parvenait à réprimer dans une certaine mesure, les dirigeants sociaux préférant user des biens sociaux dans leur intérêt personnel (les juges remarquant systématiquement l'existence d'un contrat de mandat tacite dans lequel la société était le mandant et le dirigeant, le mandataire). Néanmoins, cette incrimination paraissait insuffisante, et ce à de nombreux égards. [...]
[...] Ici, les mêmes faits étaient susceptibles de deux qualifications pénales différentes. Or, le nouveau Code pénal, tout comme l'ancien, ne permet pas de répondre à ce conflit de qualifications. Il a donc incombé aux juges de cassation d'établir une hiérarchie afin de maintenir une cohérence dans la coexistence de l'abus de confiance et de l'abus de biens sociaux. Ces derniers se sont donc fondés sur le principe selon lequel toute infraction faisant l'objet d'une poursuite doit être envisagée sous la plus haute expression pénale dont elle est susceptible (Cass. [...]
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