Denis MAZEAUD définit la lésion comme le préjudice causé à un contractant lors de la conclusion d'un contrat et engendré par un défaut d'équivalence, par une inégalité de valeur entre les prestations contractuelles.
Le sujet, à savoir la question « faut-il généraliser la lésion en Droit français ? », comprend les mots « faut-il » dès le début. Cela implique une nécessité. Le terme « généraliser » signifie étendre le domaine d'application de la lésion à toutes les hypothèses, et pourquoi pas faire un principe général de la lésion. Le droit français désigne les normes applicables sur le territoire de la France. La lésion est donc le déséquilibre, né dès la formation du contrat, entre les prestations des contractants, entrainant un préjudice pour l'un d'eux. Dans le contrat de vente, la lésion réside dans le déséquilibre entre la chose et le prix.
Le droit français s'est toujours montré très réticent à l'égard de la lésion. En 1804, le Code civil n'admettait que trois hypothèses de lésion. En effet, l'hypothèse générale concernait les mineurs non émancipés. De plus, on reconnaissait la lésion en matière de partage au regard de l'égalité. Cette hypothèse a été supprimée par une loi du 23 juin 2006. Enfin, la lésion était reconnue dans les ventes d'immeubles en raison du fait, qu'à l'époque, l'immeuble était le seul bien de valeur. Malgré le renversement de la tendance, cette hypothèse est toujours d'actualité.
Postérieurement au Code civil, le législateur a créé des hypothèses dans lesquelles la lésion pouvait être admise, sans jamais remettre en cause le principe du rejet de la lésion. Ainsi, la loi du 8 juillet 1907 admet la lésion dans les ventes d'engrais, de semences, et de plants pour l'agriculture. De plus, la loi du 3 janvier 1968 permet aux incapables majeurs de bénéficier de la lésion dans tous les contrats conclus par un majeur sous sauvegarde de justice, et dans tous les contrats qu'un majeur sous curatelle peut faire seul. Le fonctionnement est le même pour le majeur sous tutelle. Enfin, la loi du 11 mars 1957 admet la lésion dans les cessions du droit d'exploitation de l'auteur. Cependant, dans les autres domaines, la lésion n'est pas prise en compte, ce qui signifie qu'il n'y a aucun contrôle sur la détermination du prix. Par ailleurs, la lésion n'était pas admise comme un principe, elle n'a pas de régime unifié. Il faut donc étudier le régime de chaque exception.
La lésion peut emporter deux effets distincts : soit la destruction de la vente, donc la nullité du contrat (la rescision), soit la correction du contrat, c'est-à-dire un rééquilibrage du contrat à la hausse ou à la baisse. En réalité, le choix n'est pas toujours possible. En effet, dans les ventes immobilières, l'option est envisageable, mais c'est l'acheteur qui décide. Ainsi, l'acheteur a le choix entre rendre l'immeuble, et le garder en payant « le supplément du juste prix sous la déduction du dixième du prix total » (article 1681 du Code civil). Cependant, dans les ventes d'engrais et dans les cessions de droits d'auteurs, le vendeur n'a pas le choix : la modification du prix est obligatoire. La correction du contrat est donc la seule possibilité.
Il convient de s'interroger sur la potentialité d'une généralisation de la lésion en droit français au regard du droit comparé. En effet, certains systèmes juridiques, contrairement au Droit français, admettent la lésion à titre général, mais la sanction en est l'anéantissement du contrat, et non sa correction. Ainsi, le Droit allemand considère que le contrat lésionnaire est contraire aux bonnes mœurs, donc frappé de nullité absolue. Il en va de même pour le Droit suisse qui considère, qu'en cas de lésion, la partie victime du déséquilibre peut obtenir la résiliation du contrat dans un délai d'un an à compter de la conclusion du contrat.
Aujourd'hui, nous assistons à une tendance générale au rééquilibrage du contrat. C'est pourquoi il est légitime de s'interroger sur une éventuelle généralisation de la lésion. Il convient alors de notamment étudier la correction du contrat. Les rédacteurs du Code civil n'y prêtaient que peu d'attention, car ils estimaient que l'effet principal de la lésion était la rescision. Cependant, on peut observer que les lois postérieures précitées ont favorisé la correction du contrat. Cette évolution montre la prise de conscience du législateur de la valeur du contrat, de l'intérêt de la correction et de l'intérêt de sanctionner la lésion autrement que par la rescision.
La généralisation de la lésion est-elle devenue une nécessité en droit français ? En effet, le principe est celui selon lequel la lésion ne vicie pas les conventions. Cela se justifie alors par référence à la volonté autonome des parties, qui sont libres de conclure un contrat déséquilibré, et par un souci général de sécurité des transactions. Appliqué à la vente, le principe signifie que le contrat ne peut donc pas faire l'objet d'une action en rescision ou en révision si le prix est disproportionné, à la hausse ou à la baisse, par rapport à la valeur du bien vendu. Cependant, ce principe connait des exceptions. En effet, la lésion peut indirectement être prise en compte par les voies ordinaires du droit des contrats, par le biais des vices du consentement (Cass civ 1ère, 3 mai 2000), du prix dérisoire ou du vice caché. De plus, la lésion peut vicier directement le contrat lorsqu'elle porte préjudice directement à une personne incapable, et lorsqu'elle frappe certains contrats. C'est le cas des contrats de vente immobilière, de vente d'engrais, de semences ou de plants destinés à l'agriculture, de cession d'un droit de propriété littéraire et artistique, et de cession d'un office ministériel. Outre ces cas particuliers, la jurisprudence et le législateur refusent d'aller au-delà de ce domaine. Or, il parait disproportionné de parler de généralisation de la lésion, c'est-à-dire ériger la lésion en principe général. Cependant, il peut être intéressant de s'interroger sur un juste milieu entre la réticence même d'une extension des hypothèses de lésion et entre le fait de faire de celle-ci un principe général. On pourrait donc penser à une extension du domaine d'application de la lésion dans notre droit, tout en faisant attention à ce que celle-ci reste relative.
[...] Cette extension, encadrée et contrôlée, aurait pour mission d'accroire les hypothèses de lésion et d'unifier un régime général sans en faire un principe général. Il convient donc de développer la lésion en droit français, sans pour autant impliquer une remise en cause trop profonde des hypothèses existantes, notamment pour ne pas diminuer le degré de protection existant. Il ne faut donc pas élaborer un principe général de la lésion, mais, au contraire, étendre son domaine d'application tout en conservant son caractère sa valeur d'exception. Bibliographie : - La lésion : acte illicite ou vice du consentement ? [...]
[...] Personne n'a donc le droit de s'immiscer dans la relation contractuelle, y compris le juge. Ce souci de liberté a donc entrainé la consécration du principe fondamental : le principe de l'autonomie de la volonté. Ce dernier s'exprime par le biais de trois libertés, à savoir celle de contracter ou non, celle de choisir son cocontractant, et celle de choisir le contenu du contrat. Au regard de tous ces éléments, une généralisation de la lésion, c'est-à-dire une généralisation de la correction du contrat ou de la destruction de la convention par le biais d'un déséquilibre entre les prestations contractuelles, serait inenvisageable. [...]
[...] La généralisation de la lésion est-elle devenue une nécessité en droit français ? En effet, le principe est celui selon lequel la lésion ne vicie pas les conventions. Cela se justifie alors par référence à la volonté autonome des parties, qui sont libres de conclure un contrat déséquilibré, et par un souci général de sécurité des transactions. Appliqué à la vente, le principe signifie que le contrat ne peut donc pas faire l'objet d'une action en rescision ou en révision si le prix est disproportionné, à la hausse ou à la baisse, par rapport à la valeur du bien vendu. [...]
[...] Le principe de force obligatoire des conventions commande que les obligations qui découlent du contrat soient aussi impératives que si elles résultaient de la loi. L'intangibilité des conventions, quant à elle, interdit toute révocation, résiliation ou modification unilatérale du contrat, en dehors des hypothèses autorisées par la loi. L'intangibilité ne cède que devant la volonté des parties au contrat. Celles-ci sont en effet toujours libres de défaire ce qu'elles ont créé par un nouvel accord de volontés. Ainsi, si l'on faisait de la lésion un principe général, l'effet obligatoire du contrat serait gravement affecté. [...]
[...] Ainsi, la place de la lésion en droit français s'avère décevante pour beaucoup d'auteurs. En effet, elle n'a qu'un domaine d'application restreint, et elle n'a pas de régime juridique uniforme. Or, ériger la lésion en principe général ne satisferait pas les principes fondamentaux régissant les relations contractuelles et l'impératif de sécurité juridique. Cependant, on pourrait envisager un juste milieu entre la place actuelle de la lésion en droit français et une généralisation de la lésion : une relative extension de son domaine d'application. [...]
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