La mobilisation des créances sous forme de cessions inscrites sur les bordereaux institués par la loi Dailly est une pratique très courante dans le monde des affaires. En période de difficultés économiques, la tentation est grande pour les entreprises de mentionner sur ces bordereaux de fausses créances, des factures fictives ou des créances réelles mais déjà réglées ou cédées dans le but d'obtenir des crédits. Mais ces comportements sont illégaux et donnent lieu à un important contentieux, notamment quant à la qualification pénale à attribuer à ces faits. La Chambre criminelle de la Cour de cassation a eu à se prononcer à maintes reprises sur le sujet, et notamment dans deux arrêts rendus le 22/02/1993 et le 06/04/1994.
Dans la première espèce, trois responsables financiers d'une société ont conclu avec une banque une convention mettant en place entre les parties un type de mobilisation de créances sous forme de cession de créances professionnelles Dailly. Il s'est avéré que certaines des créances inscrites sur les bordereaux de cessions de créances conclues dans le cadre de la convention étaient fictives, étant déjà sorties du patrimoine de la société cédante.
Des poursuites ont été ouvertes contre ces 3 responsables financiers et la Cour d'appel les a condamnés pour escroquerie. Elle a en effet jugé d'une part, après avoir déclaré que le bordereau, créant des droits et obligations à l'égard du cédant et du cessionnaire, constituait un titre, que la production de titres inexacts constituait non de simples mensonges mais de véritables manoeuvres frauduleuses, et d'autre part que les prévenus, de par leur fonction, ne pouvaient valablement invoquer leur ignorance du caractère frauduleux des cessions. Outre la condamnation pénale, la Cour d'appel a condamné les prévenus au paiement solidaire de dommages-intérêts à la banque qui s'était constituée partie civile, pour le préjudice subi par elle en raison des faits frauduleux.
Un pourvoi a été formé contre cette décision. Pour leur défense, les trois accusés ont déclaré que l'émission de titre inexacts n'était qu'un simple mensonge qui ne pouvait constituer une manoeuvre frauduleuse dès lors qu'aucun fait extérieur ne venait lui donner force et crédit, qu'il n'y avait donc pas escroquerie. Dans la deuxième espèce, deux personnes, le président du conseil d'administration et le directeur financier et administratif d'une société ont été condamnés par une Cour d'appel pour escroquerie. Pour obtenir des liquidités, les deux prévenus avaient cédé à une banque, en vue de leur escompte, des créances représentées par des factures dont quatre se sont avérées ne correspondre à aucune commande des destinataires des factures et à aucune livraison. La cour d'appel a jugé de plus que sachant la situation de leur entreprise irrémédiablement compromise, les prévenus ne pouvaient arguer d'une simple négligence pour justifier l'émission de ces factures fictives. Un pourvoi a été formé contre cette décision, les accusés prétendant que la manoeuvre frauduleuse constitutive du délit d'escroquerie ne pouvait résulter du seul mensonge, c'est-à-dire de la seule émission de factures fictives, émanant de l'escroc lui-même, sans qu'un élément extérieur venant lui donner force et crédit ne soit caractérisé. De plus, le pourvoi prétendait qu'il n'y avait que négligence, consistant à avoir omis de vérifier les factures, et que cette simple négligence, même fautive ne pouvait suffire à caractériser l'intention frauduleuse. Ainsi, dans ces deux espèces, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dû déterminer si le fait de mentionner sur des bordereaux de cession de créances de fausses créances ou des factures fictives constituait un simple mensonge ou des manoeuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie. Dans ces deux arrêts du 22/02/1993 et du 06/04/1994, la Chambre criminelle a opté pour la seconde solution. Elle a rejeté les pourvois qui lui étaient présentés, considérant que l'infraction d'escroquerie avait bien été caractérisée par les Cours d'appel, et ajoutant dans la première espèce que les faits étaient aussi constitutifs du délit de faux. Afin de mieux comprendre la portée de ces deux arrêts, rappelons que, comme nous l'avons remarqué précédemment, la mobilisation de créances fictives donnent lieu à un contentieux conséquent quant à la qualification de ces faits. Ces faits peuvent en effet donner lieu à une incrimination pour escroquerie ou à une incrimination pour faux. Nous sommes donc en présence d'un concours idéal d'infractions puisque un fait unique semble pouvoir faire l'objet d'une double qualification. Après s'être longtemps efforcée de délimiter le domaine respectif de ces infractions, comme dans l'arrêt rendu par la Chambre criminelle le 18/11/1959, la Cour de cassation y a aujourd'hui renoncé, la peine étant en général justifiée par l'une ou l'autre qualification. C'est ainsi qu'elle approuve les condamnations prononcées pour présentation à l'escompte, en vertu de la loi Dailly, de factures fausses ou sans valeur, que ce soit au titre du faux ou de l'escroquerie. Il arrive même, comme dans notre première espèce, que, après avoir approuvé la condamnation pour escroquerie, précise qu'il y a en outre faux.
Ainsi, nous verrons dans une première partie la mobilisation de créances fictives comme constituant le délit de faux, puis dans une seconde partie, comme constitutive d'une escroquerie.
[...] Or, comme nous l'avons vu antérieurement, le bordereau ne fait pas preuve des créances cédées, il ne constitue donc pas un titre et ne devrait pas être susceptible d'être un faux punissable. De plus, le bordereau est l'expression écrite du mensonge ; c'est l'instrument qui désigne des créances fictives. Il fait donc corps avec le mensonge, et ne lui est pas extérieur. Selon une jurisprudence constante depuis 1897 (Crim.14/05/1897), Un simple mensonge, même produit par écrit, ne peut constituer une manœuvre caractéristique du délit d'escroquerie, s'il ne s'y joint aucun fait extérieur ou acte matériel, aucune mise en scène ou intervention d'un tiers, destinés à lui donner force et crédit. [...]
[...] Ces deux arrêts venant temporellement encadrer l'arrêt de 1993, on comprend donc difficilement la position adoptée par la Chambre criminelle dans son arrêt du 22/02/1993. La solution adoptée par la Chambre criminelle en 1993 semble d'autant plus incompréhensible que, tout en approuvant la Cour d'appel qui avait retenu l'incrimination d'escroquerie pour qualifier les faits, ajoute que les faits constatés caractérisent au surplus l'altération de la vérité dans un document valant titre, entrant dans les prévisions de l'article 150 du Code pénal On doit donc considérer par cet attendu que la Chambre criminelle estime que les faits constituent, outre une escroquerie, un faux. [...]
[...] Soit par fabrication de conventions, dispositions, obligations ou décharges, ou par leur insertion après coup dans ces actes. Soit par addition ou altération de clauses, de déclarations ou de faits que ces actes avaient pour objet de recevoir et de constater. L'article 441-1 nouveau du Code pénal est plus explicite ; il dispose Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d'expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d'établir la preuve d'un droit ou d'un fait ayant des conséquences juridiques. [...]
[...] De plus, le pourvoi prétendait qu'il n'y avait que négligence, consistant à avoir omis de vérifier les factures, et que cette simple négligence, même fautive ne pouvait suffire à caractériser l'intention frauduleuse. Ainsi, dans ces deux espèces, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a dû déterminer si le fait de mentionner sur des bordereaux de cession de créances de fausses créances ou des factures fictives constituait un simple mensonge ou des manœuvres frauduleuses constitutives du délit d'escroquerie. Dans ces deux arrêts du 22/02/1993 et du 06/04/1994, la Chambre criminelle a opté pour la seconde solution. [...]
[...] En droit civil, le titre se définit comme un écrit établissant la preuve d'un acte juridique. Plus tard, la jurisprudence a utilisé la notion même de titre. Ainsi, dans un arrêt du 30/03/1992, la Chambre criminelle a décidé que Constitue un faux en écriture de commerce pénalement punissable l'altération de la vérité dans un document valant titre. Dans notre première espèce du 22/02/1993, la Cour d'appel avait jugé que ce document,[le bordereau de cession de créance]qui crée des droits et des obligations à l'égard du cédant et du cessionnaire, constitue un titre La Chambre criminelle a approuvé cette décision en décidant que les faits constatés caractérisent au surplus l'altération de la vérité dans un document valant titre, entrant dans les prévisions de l'article 150 du Code pénal. [...]
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