En 1804, le principe général de responsabilité délictuelle énoncé à l'article 1382 du Code civil est apparu aux yeux des codificateurs inadaptés aux dommages causés par les mineurs et source d'insécurité juridique pour les victimes de tels préjudices, leur indemnisation apparaissant incertaine. Les rédacteurs ont donc jugé nécessaire la création d'un régime spécial de responsabilité des parents du fait de leurs enfants, inclus dans la catégorie de la responsabilité du fait d'autrui et énoncé à l'article 1384 du Code civil : les parents constituaient, selon les termes du juriste Toullier, la garantie d'un « cautionnement légal et forcé ». Dans ses quatrième et septième alinéas, l'article 1384 dispose ainsi que « le père et la mère, en tant qu'ils exercent « l'autorité parentale », sont solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs habitants avec eux » , à moins qu'ils « ne prouvent qu'ils n'ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité ». Pendant longtemps, cette responsabilité des père et mère a été interprétée par la jurisprudence comme une responsabilité complémentaire en cas de fait illicite de l'enfant, sanctionnant indirectement un défaut d'éducation ou de surveillance des parents. Si les alinéas 4 et 7 de l'article 1384 n'ont certes pas été l'objet de profondes modifications, un renversement important du principe a pourtant été opéré par la Cour de cassation depuis les années 1980, s'inscrivant dans une tendance plus générale d'un intérêt accru porté à l'indemnisation des victimes. Ainsi, la jurisprudence a fortement accentué dans les deux dernières décennies le principe de responsabilité des parents du fait de leurs enfants, en en faisant un régime autonome et objectif, le détachant de la notion même de faute. Toutefois, cette évolution, consacrée par des arrêts d'Assemblée plénière de décembre 2002, n'a pas été source d'une approbation uniforme au sein de la doctrine et a au contraire généré de nombreuses critiques. Il convient dès lors de s'interroger sur la portée de cette nouvelle conception du principe de responsabilité des père et mère. A-t-il favorisé l'émergence d'un régime de responsabilité cohérent, à la fois au regard de ses propres principes et du régime général de responsabilité ? Cette évolution jurisprudentielle peut-elle être jugée cohérente ? Si l'objectivisation de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants a mis fin à un certain nombre d'incohérences jurisprudentielles et permis l'affirmation d'un régime clair de responsabilité (I), elle n'en demeure pas moins l'objet de vives critiques relevant son caractère exagéré et ses aberrances (II).
[...] En effet, en rendant plus strict et plus systématique le régime de responsabilité des parents, elle contribue à favoriser les victimes des dommages causés par les enfants ainsi que leur indemnisation. Ce mouvement jurisprudentiel en faveur des victimes est le fait de l'ensemble de la responsabilité civile, conduisant à la reconnaissance et à l'élargissement de nouveaux régimes de responsabilité, telle la responsabilité du fait des choses dont on a la garde. Depuis l'arrêt Bertrand de 1997, la Cour de cassation a fondé la responsabilité des père et mère sur la théorie du risque. [...]
[...] Outre ces deux notions, une partie de la doctrine estime que la jurisprudence récente a établi une interprétation trop large de la notion de cohabitation énoncée comme condition de la responsabilité des parents à l'article 1384 alinéa 4 du Code civil. En effet, la notion de cohabitation a également été l'objet d'une évolution jurisprudentielle notable et a été interprétée par la jurisprudence plus comme un principe juridique abstrait que comme une condition matérielle. La cohabitation n'est pas considérée comme le lieu de résidence du mineur au moment du fait dommageable, mais comme sa résidence habituelle. [...]
[...] Thémis Droit privé, Presses universitaires de France, Paris Articles Patrice Jourdain, La responsabilité des père et mère : une responsabilité principale et directe, indépendante de celle du mineur Recueil Dalloz 2003 François Boulanger, Autorité parentale et responsabilité des père et mère des faits dommageables de l'enfant mineur après la réforme du 4 mars 2002 Recueil Dalloz 2005 Denis Mazeaud, Seules la force majeure ou la faute de la victime peuvent exonérer un père de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils mineur habitant avec lui Recueil Dalloz 1997 Denis Mazeaud, La responsabilité des parents malgré l'irresponsabilité des enfants : la Cour de cassation enfonce le clou Recueil Dalloz 2002, p Pierre Guerder, De la faute à la théorie du risque : l'exemple de la responsabilité des parents du fait de leurs enfants mineurs Recueil Dalloz 2001, p Formulation actuelle de l'article 1384 alinéa 4. La loi du 4 mars 2002 a remplacé par la formule autorité parentale l'expression originale le droit de garde H. Mazeaud et F. [...]
[...] Si cette formulation n'apparaît pas à première vue source d'ambiguïtés, elle a pourtant fait l'objet d'interprétations diverses de la part de la doctrine et des tribunaux et entraîné des solutions jurisprudentielles diverses et incertaines. En effet, une partie de la doctrine a estimé que cet arrêt d'assemblée plénière ne mettait pas véritablement un terme à l'exigence d'une faute objective de la part du mineur. Ainsi, un certain nombre de décisions jurisprudentielles se sont rattachées, suite à l'arrêt Fullenwarth, aux solutions juridiques antérieures exigeant un acte fautif. [...]
[...] Plusieurs réformes souhaitables sont ainsi énoncées Une extension de l'article 1384 alinéa 1 En premier lieu, certains auteurs proposent une extension du domaine d'application du principe général de responsabilité du fait d'autrui énoncé au premier alinéa de l'article 1384 du Code civil. Cet élargissement est perçu comme un moyen d'engager la responsabilité de personnes pour des faits dommageables de mineurs, en dehors de leur domicile familial et sous la garde d'individus autres que leurs parents. L'interprétation stricte faite par la jurisprudence de la condition de cohabitation en serait par conséquent considérablement assouplie. Ainsi, la jurisprudence éviterait d'adopter des solutions aberrantes et totalement fictives au regard de la situation réelle. [...]
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