La devise de Louis XI était « qui ne sait dissimuler, ne sait régner ». Toutefois, dans des nos sociétés contemporaines et démocratiques, la dissimulation est devenue un mode de gouvernance prohibée : en effet, l'heure est plutôt à la transparence dans la gestion financière des entreprises comme en témoigne par exemple la création du délit d'abus de biens sociaux par un décret-loi de 1935.
Cependant, la dissimulation n'a pas pour autant disparu de la vie sociale ; bien au contraire, elle reste une notion centrale dans la vie des agents économiques notamment parce qu'elle est à la base de la mise en jeu de leur responsabilité pénale. En effet, la jurisprudence pénale a fait de la dissimulation un pivot de la répression pénale à travers une application prétorienne et originale de la prescription en matière pénale. Afin d'éviter l'impunité des mandataires sociaux qui réussissent du fait de leur fonction à dissimuler les infractions qu'ils commettent au sein de l'entreprise, la chambre criminelle a décidé de reporter le point de départ de la prescription à la date de la découverte de l'infraction puis à la date de commission des faits sauf cas de dissimulation : c'est cette œuvre prétorienne qui a pour objet le report du point de départ de la prescription à une date postérieure à celle de la commission des faits qui est dénommée « théorie de la dissimulation ».
Pourtant, il est bien curieux de voir surgir en jurisprudence la question du report de la prescription. Aujourd'hui, ce sont les articles 7, 8 et 9 du Code de procédure pénale (C.P.P.) qui précisent que le point de départ du délai de prescription commence à courir le jour de la commission de l'infraction, la prescription étant de 10 ans pour les crimes, 3 ans pour les délits et 1 an pour les contraventions.
Malgré la règle d'ordre public posée par ces articles, la jurisprudence n'hésite pas à user d'audace pour y déroger et à reporter le point de départ de la prescription en toute contrariété avec les prescriptions de la loi pénale : c'est la cas pour les infractions dites dissimulées c'est-à-dire celles, selon Mme Dominique Noëlle Commaret (avocate générale à la cour de cassation), dont la « dissimulation consiste à masquer la réalité de l'infraction par des manœuvres d'occultation, à cacher ce qui est par des artifices, par un montage, le délit ne pouvant être décelé par ceux qui vont en subir les conséquences dommageables », mais aussi pour les infractions occultes (infraction dont la clandestinité est un élément constitutif) et pour les infractions répétées.
Cette théorie de la dissimulation, œuvre de la jurisprudence venant heurter le régime légal de prescription pénale, a-t-elle un avenir au sein d'un système pénal légaliste tel que le nôtre ?
[...] Le rapport COULON sur la dépénalisation de la vie des affaires propose également de réformer la prescription de l'action publique pour rendre inefficace la théorie de la dissimulation. Selon le rapport COULON, avec l'allongement des délais de prescription causé par la mise en application de la théorie de la dissimulation, les principes du code de procédure pénale sont détournés, créant ainsi un délai de prescription pénale déraisonnable et donc contraire à l'esprit de la convention européenne des droits de l'homme. Le rapport dénonce la théorie de la dissimulation comme étant une création contra legem résultant d'une société qui valorise l'émotion et la victimisation. [...]
[...] Il écarte donc toute idée de création d'un délai butoir dans la mise en œuvre de la prescription pénale. Pour restaurer plus de sécurité juridique et rétablir la confiance en la loi pénale, le rapport COULON propose de trouver un principe global qui consiste à adopter un système objectif de référence à la pénalité encourue, et qui affirme ainsi la supériorité de la norme du fait des aléas de la jurisprudence et consacre l'égalité des citoyens devant la loi. L'idée du rapport COULON est donc de rétablir un point de départ de la prescription fixe, correspondant à la date de commission des faits en contrepartie d'une augmentation du délai de prescription en fonction des pénalités encourues, alignant ainsi les délais de prescription en France sur la moyenne européenne. [...]
[...] Cette fixation du point de départ s'accompagne, en contrepartie, de garanties qui permettent d'allonger la durée de la prescription pénale et de poursuivre les faits délictueux restés cachés pendant un certain temps. Création de date butoir pour l'un, alignement des délais de prescriptions sur la moyenne européenne pour l'autre. Dans ces conditions, il ne sera plus loisible à la jurisprudence d'interpréter de manière contra legem une réforme de la prescription pénale qui serait claire quant au point de départ de la prescription. Une réforme qui se fait attendre Malgré les nombreuses propositions de réforme de la prescription en matière pénale, il n'y aucun projet de loi en cours sur le sujet. [...]
[...] Ainsi, dans un arrêt en date du 27 juillet 1993, la chambre criminelle a jugé, à propos des commissaires aux comptes et des services fiscaux, que la prescription de l'action publique ne court qu'à compter de la réception de la dénonciation par le parquet. Le délit de favoritisme Enfin, en droit pénal des affaires, le champ d'application de la théorie de la dissimulation a également été étendu au délit de favoritisme. Le délit de favoritisme étant un délit instantané qui se consomme dès la signature de la convention ou de la notification du marché obtenu en violation des règles du Code des marchés publics, la prescription légale devrait commencer à courir à compter de cet acte. [...]
[...] Cette jurisprudence qui n'a aucun fondement légal, crée une double incertitude au regard du principe de la légalité des délits et des peines car, d'une part la liste des infractions pour lesquelles la jurisprudence admet de retarder le point de départ du délai de prescription de l'action publique n'est pas limitative, et d'autre part la solution adoptée entraîne, pour les infractions concernées, des variations dans la date retenue pour le point de départ de la prescription. Ce qui conduit aujourd'hui à des propositions en vue de la neutralisation de la théorie de la dissimulation. [...]
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