Dans son ouvrage «La volonté de punir, essai sur le populisme pénal», le magistrat Denis Salas s'interroge sur l'évolution du droit pénal et notamment sur sa tendance contemporaine à multiplier les nouvelles incriminations et à durcir le régime de certaines infractions, notamment sexuelles, au risque de rendre difficilement lisible la gravité des infractions.
Le droit pénal a pu être qualifié de «catéchisme social» par certains auteurs. En effet, il est possible de déduire des incriminations et de la nature des peines afférentes l'importance sociale de la valeur à laquelle l'infraction a porté atteinte et, partant, la gravité de l'infraction. Il est traditionnellement admis que les nombreuses infractions, largement définies comme les comportements incriminés et sanctionnés d'une peine par le législateur pénal, que connaît le droit pénal contemporain ne présentent pas toutes le même degré de gravité. Il n'est effectivement pas douteux que les atteintes à la vie (meurtre, assassinat, empoisonnement) sont plus graves que le fait de traverser en dehors des passages piétons qui constitue une contravention de première classe. Cette détermination de la gravité objective des infractions est classiquement assurée par la classification tripartite des infractions aux termes de laquelle les infractions sont réparties en crimes, délits et contraventions par ordre décroissant de gravité (article 111-1 du Code pénal : CP). Le critère de reconnaissance de chacune de ces catégories d'infractions est traditionnellement la peine principale encourue, à titre d'exemple seuls les crimes et les délits peuvent être sanctionnés par une peine privative de liberté ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel (décision du 23 novembre 1973). Le législateur attache traditionnellement de nombreuses conséquences à la gravité des infractions telle qu'elle découle de la classification tripartite tant en droit pénal de fond (nature et quantum des peines encourues, durée de la prescription de l'action publique, durée de prescription de la peine) qu'en droit pénal de forme (l'instruction n'est obligatoire qu'en matière de crime, facultative en matière de délit et exceptionnelle en matière de contravention puisqu'elle n'a alors lieu que sur requête du procureur de la République selon l'article 79 du Code de procédure pénale : CPP, la procédure de comparution immédiate est exclue s'agissant de crime, article 388 CPP). Si la classification tripartite des infractions traduit classiquement l'échelle de gravité des infractions, cette échelle semble aujourd'hui en décalage par rapport à l'évolution du droit positif.
En effet, au delà des dérogations classiques à la classification tripartie des infractions telles que le régime exorbitant de droit commun des crimes contre l'humanité justifié par la gravité particulière de cette infraction ou le mécanisme de la correctionnalisation judiciaire, se multiplient les atteintes portées à cette classification. Le législateur moderne multiplie les infractions dites spéciales en ce qu'elles connaissent un régime nettement dérogatoire au droit commun. Il est ici permis de penser aux infractions sexuelles lorsque la victime est un mineur dont le renforcement du régime entamé par la loi du 17 juin 1998 n'a jamais été démenti par les multiples lois postérieurs, aux infractions terroristes créées par la loi du 09 juillet 1986 pour lesquelles le même constat peut être fait ou à la répression de la criminalité organisée renforcée par la loi du 09 mars 2004. Le renforcement des régimes par ces infractions (création de nombreuses incriminations en amont, aggravation du quantum des peines encourues, création de peines spécifiques, mise en place d'une procédure pénale dérogatoire aux règles de droit commun etc.) est bien l'indice de la gravité particulière des atteintes aux valeurs sociales que constituent ces infractions. Le législateur a entendu ici manifester son attachement particulier à la valeur violée : intégrité sexuelle des enfants, lutte contre le terrorisme etc. La multiplication contemporaine des circonstances aggravantes (la loi du 05 mars 2007 a créé celle d'embuscade, la loi du 09 mars 2004 a créé celle d'incendie de forêt) et le renforcement de leur régime particulièrement notable en matière de récidive participe du mouvement d'atteinte à l'échelle de gravité objective instituée par l'échelle tripartite des infractions.
Dès lors, il convient de s'interroger sur la détermination de l'échelle de gravité des infractions par le droit pénal contemporain.
Si la classification tripartite est le critère traditionnel de la gravité des infractions (I), l'évolution du droit pénal contemporain conduit à faire de cette classification un critère dépassé de la gravité des infractions (II).
[...] Cela permet d'abaisser d'un degré (très rarement de deux) la qualification retenue dans la classification tripartite des infractions - cette pratique est très critiquée car elle contrevient au principe de l'interprétation stricte de la loi pénale (article 111-4 CP). Elle peut être justifiée par un principe de réalisme : encombrement important des juridictions pénales et notamment des Cours d'assises qui ne se réunissent que périodiquement, sachant que le délai d'attente du jugement est en moyenne de 2 ans après la clôture de l'instruction), cela permettra à l'affaire d'être jugée plus rapidement. [...]
[...] Elle peut également être inspirée par un souci paradoxal de sévérité : plus grande sévérité des juridictions professionnelles - cette pratique a cependant le mérité d'adapter la qualification retenue à la gravité concrète des faits ou d'être en adéquation avec les conceptions contemporaines avec lesquelles la gravité abstraite retenue par le CP peut être en décalage : les vols commis par un domestique ont cessé d'être poursuivis en Cour d'assises bien avant l'abrogation de cette circonstance aggravante en 1981 Cette première approche de la gravité des infractions tend à la fonder sur la classification tripartie des infractions suffisamment souple pour s'adapter à la gravité concrète des comportements poursuivis. Pourtant, cette approche n'est que parcellaire et ne rend pas compte des évolutions contemporaines du droit pénal. En effet, la genèse d'infractions spéciales telles que les infractions sexuelles ou les infractions terroristes témoigne de la gravité particulière de ces comportements aux yeux du législateur que ne reflète pas l'échelle de gravité traditionnellement définie par la classification tripartite des infractions. [...]
[...] Le renforcement des régimes par ces infractions (création de nombreuses incriminations en amont, aggravation du quantum des peines encourues, création de peines spécifiques, mise en place d'une procédure pénale dérogatoire aux règles de droit commun etc.) est bien l'indice de la gravité particulière des atteintes aux valeurs sociales que constituent ces infractions. Le législateur a entendu ici manifester son attachement particulier à la valeur violée : intégrité sexuelle des enfants, lutte contre le terrorisme etc. La multiplication contemporaine des circonstances aggravantes (la loi du 05 mars 2007 a créé celle d'embuscade, la loi du 09 mars 2004 a créé celle d'incendie de forêt) et le renforcement de leur régime particulièrement notable en matière de récidive participe du mouvement d'atteinte à l'échelle de gravité objective instituée par l'échelle tripartite des infractions. [...]
[...] Il est traditionnellement admis que les nombreuses infractions, largement définies comme les comportements incriminés et sanctionnés d'une peine par le législateur pénal, que connaît le droit pénal contemporain ne présentent pas toutes le même degré de gravité. Il n'est effectivement pas douteux que les atteintes à la vie (meurtre, assassinat, empoisonnement) sont plus graves que le fait de traverser en dehors des passages piétons qui constitue une contravention de première classe. Cette détermination de la gravité objective des infractions est classiquement assurée par la classification tripartite des infractions aux termes de laquelle les infractions sont réparties en crimes, délits et contraventions par ordre décroissant de gravité (article 111-1 du Code pénal : CP). [...]
[...] La diversification des circonstances aggravantes - définition du mécanisme des circonstances aggravantes et des différentes catégories : réelle, personnelle et mixte - diversification quant à leur domaine : diversification du domaine des circonstances aggravantes générales que sont la récidive et l'utilisation d'un moyen de cryptologie et diversification du domaine des circonstances aggravantes spéciales : de plus en plus nombreuses et certaines sont jugées si importantes qu'elles sont définies en tête du Code pénal parmi les principes directeurs du droit pénal - diversification quant à leur nature : valable pour les circonstances aggravantes réelles, personnelle et mixtes, ce qui s'explique parla tendance du législateur contemporain à ériger des infractions autonomes en circonstance aggravante : cela perturbe encore l'échelle de gravité puisqu'il faut tenter d'y inclure les circonstances aggravantes pour lesquelles aucune échelle de gravité telle que la classification tripartite des infractions n'est pas prévue : absence de ligne directrice ou de politique criminelle lisible relative à la gravité des infractions Le renforcement du régime des circonstances aggravantes - renforcement quant à la teneur de la répression : effet sur la décision de condamnation : admission par la jurisprudence des circonstances aggravantes putatives, dérogation au principe de culpabilité unique en matière de circonstance aggravante (une même circonstance peut être retenue à l'encontre de différentes infractions), communication des circonstances aggravantes réelles liées à la qualité personnelle de l'auteur au complice (Crim 07 septembre 2005) + effet sur la peine : existence de peines spécifiques à une circonstance aggravante (obligation de résider hors du domicile conjugal), effet sur l'exécution de la peine : la loi du 12 décembre 2005 impose un aménagement du sursis avec mise à l'épreuve pour les récidivistes - renforcement quant à la teneur de la répression : en droit pénal général : application de la loi pénale dans l'espace (tourisme sexuel sur mineur), en procédure pénale : prescription de l'action publique (minorité de la victime en matière d'infraction sexuelle déjà évoquée), certaines procédures dérogatoires tiennent à la constitution d'une circonstance aggravante spécifique : bande organisée, criminalité organisée (durée de la garde à vue par exemple) - la circonstance aggravante est désormais devenue est témoin de la gravité réelle de l'infraction plus représentatif que celle apparaissant au travers de la classification tripartite Conclusion la classification tripartite est aujourd'hui dépassée par l'évolution du droit pénal contemporain auquel elle n'est plus adaptée et semble surtout témoigner d'un intérêt pédagogique. La gravité des infractions semble désormais davantage illustrée par le caractère dérogatoire du régime de certaines infractions dont la gravité objective ne peut être remise en cause. [...]
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