La plus remarquable des innovations du Code pénal de 1994 est sans aucun doute, l'introduction de la responsabilité pénale des personnes morales. Celle-ci est prévue à l'article 121-2, qui dispose que « les personnes morales, à l'exclusion de l'Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7 et dans les cas prévus par la loi ou le règlement, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. »
Malgré les nombreuses particularités des personnes morales par rapport aux personnes physiques, le législateur de 1994 n'a pas posé beaucoup de règles spécifiques, laissant place à des difficultés d'application à la charge des juges et de la doctrine.
Il va falloir pallier le manque de texte en se tournant vers le droit pénal applicable aux personnes physiques. Cette difficulté s'illustre notamment au sujet des causes d'irresponsabilité pénale.
Le Code pénal dans ses articles 122-1 à 122-8 énonce divers cas d'irresponsabilité pénale sans distinguer entre personnes physiques et personnes morales.
Ces causes d'irresponsabilité ou d'atténuation de responsabilité font l'objet, dans le Code pénal, du second chapitre du titre II du livre 1er. Elles ont des fondements divers mais la plupart d'entre elles sont justifiées par le principe selon lequel seules les personnes jouissant de leur libre arbitre au moment de commettre un acte peuvent en être jugées pénalement responsables ; elles concernent :
- le trouble psychique ayant aboli (al 1) ou altéré (al 2) le discernement ou le
contrôle des actes (article 122-1),
- la contrainte (article 122-2),
- l'erreur de droit (article 122-3),
- le commandement de l'autorité légitime et l'ordre de la loi (article 122-4),
- la légitime défense et l'état de nécessité (article 122-5),
- le péril imminent (article 122-7).
Au sein de ces dispositions, il faudra distinguer les causes subjectives d'irresponsabilité pénale et les causes objectives ; les premières font disparaître la culpabilité de l'auteur, son acte n'est plus fautif pour des raisons personnelles et subjectives cependant cet acte conserve sa criminalité, les secondes, encore appelées « faits justificatifs », opèrent in rem et non pas in personam, l'infraction va disparaître : un acte ordinairement punissable devient conforme au droit parce que son auteur a, en l'accomplissant, servi un intérêt préférable à celui que protège la loi qu'il a transgressée.
La première question qui se pose est de savoir si ces dispositions s'appliquent aux personnes morales. En l'absence de toute précision, et donc en l'absence d'exclusion expresse du législateur, il semble que ces causes d'irresponsabilité s'appliquent à l'ensemble des sujets de droit pénal.
Néanmoins, on peut se demander s'il ne faut pas adopter une position minimaliste concernant les personnes morales ; ces dernières ne pourraient alors bénéficier que des seuls faits justificatifs lesquels font disparaître l'infraction. Encore une fois cette approche doit être repoussée, en effet dans le silence de la loi il n'y a pas à distinguer (cf. l'adage : « Ubi lex non distinguit, nec nos distinguere debet, ibi onus» : là où la loi n'opère pas de distinctions nous ne devons pas en faire).
Ainsi la doctrine s'accorde à dire que ces causes d'irresponsabilité pénale, quelles soient objectives ou subjectives, devraient pouvoir bénéficier, en théorie, aux personnes morales. Cependant, dans la pratique, des obstacles empêcheront les personnes morales de bénéficier de certaines causes d'irresponsabilité.
La responsabilité pénale des personnes morales, envisagée de façon autonome, amène à examiner chaque cause d'irresponsabilité et à rechercher si elle est applicable aux personnes morales et, le cas échéant, dans quelles conditions.
Certes, l'étude de l'application de toutes les causes d'irresponsabilité pénales et leurs applications respectives à la personne morale aurait été intéressante, mais nous nous limiterons ici à l'étude de l'article 122-1 du Code pénal relatif aux troubles psychiques. Cette cause d'irresponsabilité est d'autant plus intéressante qu'elle est non seulement subjective mais surtout étroitement liée à la personnalité de l'auteur de l'infraction. Il s'agira donc de voir si les personnes morales peuvent bénéficier de cette cause d'irresponsabilité pénale fondée sur l'état mental de l'auteur de l'infraction.
Le code pénal dispose que « N'est pas pénalement responsable la personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant aboli son discernement ou le contrôle de ses actes.
La personne qui était atteinte, au moment des faits, d'un trouble psychique ou neuropsychique ayant altéré son discernement ou entravé le contrôle de ses actes demeure punissable ; toutefois la juridiction tient compte de cette circonstance lorsqu'elle détermine la peine et en fixe le régime.»
La doctrine s'accorde sur le rejet d'une application directe de cette cause d'irresponsabilité à la personne morale (I), néanmoins concernant l'application à la personne morale, de l'irresponsabilité de son dirigeant « par ricochet », certains semblent l'admettre (II).
[...] Voir pour exemple Crim sept.99, Bull.crim. n°197. F. DESPORTES et F. LE GUNEHEC, Droit pénal général, Economica. BOCCON. GIBOD, La responsabilité pénale des personnes morales (Présentation théorique et pratique), Editions Alexandre Lacassagne, éditions ESKA. Par exemple, en versant aux débats des expertises psychiatriques ou une décision de mise sous tutelle. Th. [...]
[...] En effet pour Messieurs Desportes et Le Gunehec, à l'exclusion des troubles psychiques et de la minorité, toutes les causes d'irresponsabilité pénale sont applicables aux personnes morales. Ce n'est pas parce que la cause d'irresponsabilité de l'article 122-1 du Code pénale est subjective que l'on ne peut pas l'appliquer aux personnes morales, mais c'est bien en raison de sa nature particulière : elle s'attache au mental, à la personnalité ; elle a été créée, à l'évidence, pour s'appliquer à des êtres humains. [...]
[...] Pour une grande partie de la doctrine le problème de savoir si une personne morale peut être atteinte de troubles psychiques ne se pose même pas : Le problème n'est évidemment pas de savoir si une personne morale peut être atteinte d'un trouble mental Certains auteurs excluent l'application (directe ou par ricochet) de cette cause d'irresponsabilité au motif qu'elle ne pourrait, par définition, concerner que des personnes physiques.[3] D'autres vont même jusqu'à dire que cela s'explique par le fait que l'être moral est, par définition, un être de raison Selon Monsieur Planque[5], Si la responsabilité pénale des personnes morales est une responsabilité autonome, cela sous-entend que les êtres moraux sont dotés d'un libre arbitre. Pourtant, il semble raisonnable de dire qu'une personne morale ne peut pas être atteinte de troubles psychiques. Monsieur Planque justifie cette impossibilité par plusieurs arguments, le premier étant relatif au rôle du psychiatre. [...]
[...] PLANQUE, La Détermination De La Personne Morale Pénalement Responsable, Collection Logiques Juridiques. [...]
[...] Ce schéma d'après Monsieur Dalmasso doit pouvoir être transposé ici. Là encore cette analyse doit être repoussée car il s'agit d'une cause subjective d'irresponsabilité pénale, laquelle ne doit s'appliquer qu'à la personne atteinte par les troubles psychiques. L'infraction subsistera donc. D'ailleurs les éventuels complices de l'irresponsable demeurent punissables, et notamment les personnes qui ont pu profiter de son absence de discernement pour lui faire commettre, à leur profit, les actes incriminés. Ainsi il faut repousser l'analyse de Monsieur Dalmasso et considérer que la personne morale ne devrait pas pouvoir bénéficier par ricochet de l'irresponsabilité de son dirigeant. [...]
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